ATELIER CHOREGRAPHIQUE DU THEÂTRE NATIONAL

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18. Colloque International Thème 3 : Communication de Mme Elsa WOLLIATSON (U.S.A. - France)

THEME 3 SUITE

"DE LA DANSE TRADITIONNELLE A LA DANSE CONTEMPORAINE AFRICAINE"

COMMUNICATION DE MADAME Eisa WOLLIATSON
(ETATS - UNIS / FRANCE) CHOREGRAPHE

J'aimerais faire un commentaire sur le mot tradition. Pour moi, la tradition n'est pas seulement un fait culturel qui appartiendrait à l'ordre social et qui nous déterminerait, à des degrés divers, selon la force même de la tradition. C'est avant tout un héritage qui peut être négatif ou positif.

Si l'on doit apprendre à vivre ailleurs, si l'on sort de la complexité des structures familiales et sociales, la question de la singularité fondée dans le rapport à cette tradition se pose. De ce fait, l'héritage subit des transformations mais le sens reste. C'est pourquoi je ne vois plus la tradition avec les yeux de ma jeunesse. Ma relation à la tradition a subi des épreuves. Aujourd'hui, la vie que je mène est loin de la tradition, j'en partage juste l'esprit.

Puis-je la transmettre à Paris ? Cette question a cheminé souterrainement. Au fur et à mesure de la présentation des oeuvres dans leur forme traditionnelle, je me suis déshabillée progressivement. Se déshabiller comporte un certain risque: celui de s'exposer aux préjugés archaïques de ceux qui n'y sont pas habitués.

Si je reste avec les "pourquoi", je ne trouve pas ma raison d'être. Pour éloigner les curieux, mes réponses sont superficielles. Je préfère questionner par un travail. Je danse, j'enseigne toujours à partir des bases traditionnelles, mais je choisis des éléments précis, contrairement à d'autres danseurs qui disent: "j'enseigne les danses de l'Afrique". Ce qui est impossible.

L'Afrique est un continent gigantesque. On danse de mille façons différentes. Les danses sont l'essence même de l'environnement dans lequel elles naissent: forêt, eau, savane... impriment leur marque.

Il est prétentieux de dire que l'on porte toute l'Afrique sur son dos. Mais sans fausse modestie, j'ai eu la chance de faire beaucoup de travail dans différents pays du continent noir, d'Est en Ouest.

Ce qui m'a le plus frappé, c'est le domaine musical. Mon travail établit toujours un rapport à la musicalité de l'Afrique, même si je ne le dis pas. Si je savais vraiment ce qu'est la danse, je crois que je ne danserais plus.

Aujourd'hui, je suis arrivée à un stade où je ne peux plus écrire sur mes programmes: "danse traditionnelle". Cela signifierait que les codes n'ont pas bougé et c'est faux. Aussi dis-je : "danse d'expression africaine et contemporaine". Telle est ma vision, et je sais que mon discours n'est pas solitaire.

Les Africaines dansent - en dehors des danses traditionnelles pures et codées ­- des danses qui contiennent des éléments d'actualité; elles s'enrichissent du présent. Pour avancer, j'ai élargi ma vision de la danse. Je la situe dans le monde où je vis: ici et maintenant. Quand je suis sur scène, je me sers de cette transformation pour danser.

"Rituel", mon spectacle le plus ancien (monté pour la première fois à Paris en 1969) est un parcours cérémoniel basé sur les forces cosmiques terrestres, à l'instar des danses qui sont exécutées dans un lieu clos. Mais la modernité est présente, ne serait-ce que par la nature des salles occidentales.

Toutes les Africaines dansent, mais toutes les Africaines ne sont pas initiées. L'initiation est présentée comme une sorte d'épreuve liminaire, une épreuve pour accéder à la connaissance. Celle-ci passe par de nombreux efforts pour être reçue, jusqu'à, osons le mot, la "persécution". Ces efforts existent pour éviter le repliement sur soi-même.

Il est impossible par rapport à une initiation de dire qu'on est la plus forte. Plus tard, à mon tour, je peux transmettre, car non seulement j'ai la connaissance, mais aussi le moyen de transmettre En Afrique, il existe une pédagogie du savoir liée à la parole. En Occident aussi, il existe un concept d'initiation. Mais la société ne dit pas "initiation", elle dit "scolarité". Le processus est le même, si ce n'est que la parole est écrite.

Toute la force du rite tient dans sa capacité à révéler ce qui n'est pas visible aux croyances profanes. Visible, invisible, conscient et inconscient, le rite unit. En Occident, il existe une fragmentation entre les mondes du visible et de l'invisible. Le corps est ici, l'esprit est là-bas. La tradition, par le moyen du rite, recrée l'Un originel. "Rituel" a été vécu, transformé, transposé par moi pendant de nombreuses années pour rendre présent l'indicible.

J'ai essayé de partager cette connaissance avec mes élèves et les danseurs de ma compagnie. J'explore leur intellect, leur conscience, leurs désirs Si quelqu'un vient danser avec moi, tant mieux. Mais pourquoi vient-il ? Ce n'est pas moi qui vais le lui demander.

Et puis un jour, j'ai rencontrer Stéphane (Koulbanis) qui danse avec moi depuis 1989. Il suivait mes cours. J'ai pu l'observer. Ce qu'il dansait était essentiel pour lui, et j'ai vu que je pouvais travailler avec cette matière. Etait-ce superficiel ou profond ? Très tôt, je lui ai proposé un premier spectacle.

Une fois cette première étape accomplie, j'ai voulu mieux le connaître. Oui, aller lentement; du temps et de la patience pour être sûre que j'étais dans le vrai. De maître à élève, il n'est pas question. L'essentiel est de sentir que, si demain je meurs, et ça a encore une importance pour moi, j'aurai rencontré dans ma vie un être avec qui j'aurai partagé une partie de moi-même. Même si je ne suis plus là, il dansera.

Cette dimension est fondamentale par rapport à la tradition, justement. C'est un exemple typique d'initiation dans la confrontation d'un lieu et d'un moment. Je ne pose pas de question à mes danseurs. Ma relation au corps fait que l'on ne m'échappe pas. Ce n'est pas de regarder qu'il s'agit mais de voir. Regarder est de l'ordre de la précision, voir est de l'ordre du tout. Cette façon de fonctionner m'a permis de reconnaître Stéphane. Danser est une communion, un partage. Je ne danse pas à côté d'un danseur mais avec. Sur le plateau tout devient un. Stéphane et moi sommes différents, et c'est seulement quand nous dansons que nous nous retrouvons.

Pour moi, créer et marquer un pas au sol vont de pair. Je commence toujours avec un pas, puis je je "lave" jusqu'à ce qu'il prenne forme. Un seul pas suffit. Ma danse est l'épuration d'une chose pour aller à l'essentiel. Le théâtre et le plateau sont des lieux sacrés. Du plateau - c'est pourquoi j'accepte d'y danser. Toute chose, tout, absolument tout passe dans le public. C'est un lieu qui se charge de la force du mouvement et de l'action...

C'est vrai, j'ai été longue à admettre l'électrification. Je m'y suis confrontée. J'ai fait quelques concessions, mais je refuse tout élément de décor et tout artifice justement parce que le plateau nu est chargé et sincère. C'est une lutte, bien que souvent beaucoup l'ignorent. Avant tout ce n'est pas mon lieu. Je ne suis qu'une force de passage. Sur chaque plateau, je me demande comment je vais y aller. Je lui demande la permission de passer et de danser. Sur un plateau, on rencontre toutes sortes de choses cruelles que les gens perçoivent comme des accidents. la gélatine qui s'envole toute seule sans raison, des lampes qui s'éteignent sans motif.

Quand je monte sur le plateau, je suis neutre. Bien sûr, je connais le spectacle, je connais les pas, mais je vais vers l'inconnu: c'est le vide. Je réapprends la chorégraphie. Dès que j'entre dans un lieu, inutile de feuilleter un livre. Est-il chargé d'histoire ou non ? Je le sens, je le sais. La cour des Ursulines à Montpellier, lieu mystique et prison de femmes, est extraordinaire car elle représente les deux extrémités du pôle, le bien et le mal.

Je danse tout simplement. Je côtoie la danse tous les jours. Ce n'est pas parce que je suis en 1995 que je fais du contemporain. Il est contemporain pour les autres" mais sans âge pour moi, sans âge car la danse continue son parcours. Chaque fois que je veux danser, je demande la permission. J'ai été éduquée ainsi.

Une partie de la danse est contrôlée, mais pas le tout. La conscience d'organisation côtoie l'inconscient. Seul le corps te rappelle que tu n'es pas coupé. A cinq, six, ou dix, nous sommes des formes de personnes. On nous voit un par un, mais nous sommes sur le plateau pour une seule danse. Les formes sont variables, mais une seule danse est exécutée par un seul interprète. Danse et musique participent de la même énergie, avec la différence que l'une prend une forme sonore, l'autre une forme visuelle. L'une et l'autre doivent abandonner totalement leur ego pour éveiller l'âme. Les instruments ont leur âme, et les danseurs sont comme des instruments.

La technique est un "plus" qui permet d'être à l'aise, mais elle n'est pas la danse. C'est pourquoi l'Art est sans âge. Si aujourd'hui, j'accomplissais avec mon corps, les mêmes choses qu'hier, ce serait une gifle. De même, les choses que je fais maintenant, je n'aurais pu les réaliser à vingt ans, même avec une superbe technique.

Aujourd'hui, je suis soutenue par la maturité et la connaissance de cet instrument. C'est vicieux dans les deux sens. On a tendance à mettre de la plasticité dans la forme. Il y a d'autres éléments qui font que je ne peux pas défendre une esthétique plutôt qu'une autre. C'est comme le choix d'une couleur de peinture, alors que l'essentiel pour moi s'inscrit dans la lumière et l'occupation de l'espace.

Comment entrer, traverser, sortir de l'espace scénique ? Et la lumière, pas celle que l'on voit mais celle que chacun possède en soi, comment s'allume-t-elle de l'intérieur ? Tout ceci crée une forme et une gestuelle où le constant lien entre la conscience et l'inconscience est important. Tenter de montrer des choses réglées par la conscience et oser échapper à la structure, telle est la direction de mon travail. On me parle de dédoublement, mais l'artiste ne doit-il pas réveiller l'autre ou cette part de lui-même qui échappe à la conscience et qui est son double ?

Le faire naître, et c'est l'autre que les gens voient. Ainsi, l'artiste s'identifie avec ce qu'il ressent, et le public aussi. Ce n'est pas dans l'émotion que naît le double. Il naît dans le mouvement, si le mouvement est juste car alors le corps n'est plus découpé ; c'est le tout.

Un geste qui juste transmet en un moment la dimension du tout. Si je cherche à tout contrôler, la danse reste purement intellectuelle. Il n'y a pas de passage, tout est tranquille. Souvent, ce que je donne à voir est choquant, violent, voire menaçant, car le passage a lieu et m'épuise. Dans "Rituel", il m'épuise non pas pendant mais après. Mais c'est trop important pour moi. Je me vois entourée d'espace, de sons dans l'espace... "Rituel" provoque dans l'inconscient des spectateurs des peurs qui désorganisent ce qui était auparavant contrôlé. C'est toujours après que les gens réagissent. "Rituel" leur affirme une évidence: vivez avec ce corps, vous n'en avez pas d'autres.

 



16/10/2010
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