ATELIER CHOREGRAPHIQUE DU THEÂTRE NATIONAL

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6. Colloque International Thème 1 : COMMUNICATION DE MONSIEUR PIERRE MONSARD ╬ (GABON)

THEME 1 SUITE

LA TRADITION ORALE COMME SOURCE DE LA THEA TRALITE

COMMUNICATION DE MONSIEUR PIERRE MONSARD   (GABON) PROFESSEUR A L'UNIVERSITE OMAR BONGO, LIBREVILLE

 

" Madame le Rapporteur, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs: ma communication va porter sur la danse, phénomène de l'oralité et de la culture traditionnelle.

L'oralité présente une assise structurée, une trame à laquelle la mémoire peut s'accrocher. La profération de la parole fait que tout texte n'a d'existence que vers le public, par le public et pour le public.

De par ce constat, nous avons circonscrit quelques paramètres conditionnant l'idée de la scène dans le monde traditionnel.

Nous ne parlons pas de théâtre mais de l'idée de la scène, car la notion de théâtre n'a pas nécessairement ses origines en Afrique noire. Cette idée de théâtre "actualisations des instants de la vie" est strictement associée à la danse, car c'est l'espace de l'expression du geste, de la parole libre ou codifiée et de la communication ouverte où l'Art est générateur de simulacre et lieu de fantasme.

Notre communication portera donc sur ces notions de simulacre et de fantasme. Le simulacre de qui ? - Celui d'un performateur de la parole que nous appellerons le JE, qui, lui-même, fait le JEU des intervenants et de l'assistance. C'est à partir du simulacre intégré dans le JEU de la parole traditionnelle que l'on peut mieux comprendre la relation entre le théâtre, la danse et l'oralité.

Comment comprendre le simulacre ? Les peuples traditionnels d'Afrique noire éprouvent le besoin de théâtraliser leur vie; c'est-à-dire de figurer les mythes, les symboles, au moyen de la danse et de la parole traditionnelles.

Il s'agit pour ces peuples de faire mouvoir les apparences par des représentations scéniques, et surtout par le biais d'un "acteur - conteur - personnage danseur" qui pour le Gabon et le Cameroun se retrouve dans le Mbom-Mvet.

Le simulacre tient de la transformation, de la feinte, desquels on peut saisir l'Art théâtral Négro africain, car on y joue des scènes de la vie quotidienne à travers les contes, les légendes et des fables.

Participe à ce jeu du simulacre le JE, maître de séance qui est le conteur professionnel ou occasionnel, le Griot en Afrique soudano sahélienne, ou le Mbom..Mvet en Afrique centrale; il est l'ordonnateur du JEU, celui qui donne le rythme de la voix, mais aussi la mesure du pas de danse; il est le coryphée qui rythme la cadence, le chant et la danse qui accompagnent la parole traditionnelle.

Le statut de metteur en scène est régi par le performateur qui joue les personnages, chahute le public, se joue par des astuces et des effets de langage du public qu'il entraîne par des procédés factices à la participation active.

Cette adhésion ne saurait être passive dans la mesure où le public applaudit, critique, censure et évalue la performance du JEU.

Ainsi intégré à la mise en scène générale, le public devient personnage, qui simule et amplifie le simulacre par intérêt ou par plaisir. Les liens de la relation danse-théâtre-oralité se situent dans cette configuration charnelle et métaphysique du plaisir.

Comment comprendre cette relation de cognition établie entre le public et le JEU: c'est une osmose entretenue par les ondes de la voix et du corps, l'ondulation des hanches, le martèlements des pieds sur le sol, les claquements des mains.

Toute cette atmosphère musicale, gestuelle, donne à la parole orale, déclamée ou dansée, son envergure communautaire; car l'Art n'est mieux partagé que quand il est communautaire.

Il ne s'agit pas tant de savoir quelle est de manière hiérarchique évolutive ou qualitative qui, de la danse, du texte oral ou du théâtre a la primauté sur les manifestations culturelles: ceci équivaudrait à créer entre ces différents Arts des frontières abstraites qui ne se justifieraient point.

De par la nécessité de son fonctionnement, nécessité d'un public, relation permanente de la danse et du chant, notion de la mise en scène,… l'oralité traditionnelle engendre un Art verbal global où n'est perçue que la pérennité de la tradition détentrice des valeurs culturelles fondamentales.

Mais cette pérennité n'est pas synonyme d'immobilisme. Elle accepte les influences, les ouvertures. Comment comprendre cet Art total (parole traditionnelle, danse, théâtre, musique) qui dévoile la communauté par le simulacre en usant des mises en scènes pratiques, utilitaires et pourquoi pas pédagogiques ? N'est-ce pas là la mise en scène des fantasmes du groupe qui sont mis à nu ?

L'oralité par la mise en scène théâtrale et par l'identification anthropomorphiques des personnages, des danses et des mythes, suggère des fantômes, des visions, des esprits qui fonctionnent comme des masques qu'il faut découvrir pour pouvoir lire les symboles qui s'y cachent.

Certaines danses rituelles recèlent de longs messages qui redisent les mythes fondateurs du clan en simulant les faits guerriers passés, illustrés par le maquillage des artistes et la gestuelle des danseurs à partir desquels on peut lire le rêve, le besoin de sublimation ou de transcendance d'une communauté.

La danse devient alors langage et comportement. Les danses africaines suggèrent un érotisme qui révèle des hymnes à la joie et libère des censures, des tabous comme c'est le cas chez les Yaka du Congo et du Gabon avec les danses et les chansons des jumeaux.

D'autres danses remettent en scène, avec leurs pas guerriers et leurs chansons viriles déclamées, les gloires des peuples qui ont combattu pour la libération de leurs communautés, comme dans les chansons Zoulou et Kossa.

Toutes ces diverses danses peuvent être comprises comme des manifestations fantasmatiques de sublimation, de perfection et de résurgence d'idéaux, implicitement avoués et explicitement joués. Les peuples racontent leurs désirs, leurs tabous par le geste, la voix, le corps et la danse.

L'oralité, par la dimension de la danse, devient alors cette cérémonie populaire où le peuple exorcise ses frayeurs comme avec le masque Okoukwé chez les Mpongwés du Gabon, qui exprime ses contradictions, ses joies et ses espérances.

Enfin pour terminer, l'oralité traditionnelle, avec sa conception du théâtre et de la danse peut donner au théâtre africain sur le mode occidental des chances de modernité. .

Au lieu de se présenter dans sa formule actuelle qui nous apparaît mécanisée et stéréotypée avec un metteur en scène extérieur au texte, un public souvent passif et distant, voir étranger et aliéné; et l'œuvre de création perçue comme une simple mystification de l'esprit, l'oralité offre au théâtre occidental le consensualisme des esprits, des corps et des destins, c'est-à-dire l'Art qui se partage.

 



31/03/2012
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