ATELIER CHOREGRAPHIQUE DU THEÂTRE NATIONAL

ATELIER CHOREGRAPHIQUE DU THEÂTRE NATIONAL

COLLOQUE INTERNATIONAL : « LA DANSE EN AFRIQUE, DE LA TRADITION ORALE A LA SCENE » 30 MARS - 1ER AVRIL 1995 CENTRE CULTUREL FRANCAIS ST EXUPERY

 

Sous le haut patronage du Ministère Gabonais de la Communication, de la Culture, des Arts et de l'Education Populaire chargé des droits de l'homme., Organisé par le Conseil International de la Danse auprès de l'UNESÇO {C.I.D - UNESCO), et la Fédération de danse du Gabon {FE.DA.G.). Avec le soutien de :
- L'Etat Gabonais
- L'UNESCO - Siège
- La Commission Nationale pour l'UNESCO au GABON
- La Délégation Permanente du Gabon auprès de l'UNESCO
- Le Centre International des Civilisations Bantu (CICIBA)
- La Coordination Nationale ClCIBA - Union - Européenne (Proculture)
- La Mission Française de Coopération
- Le Centre Culturel Français Saint EXUPERY
- Le Centre d'Etudes Africaines (EHESS-PARIS)
- La Fondation Afrique en Création.

SOMMAIRE

Extraits des discours d'ouverture
INTRODUCTION 

1) Tradition Orale comme source de la Théâtralité
Mr.NANG EYI, Université Omar BONGO, Gabon 
Mr. Jacques BINET, Sorbonne, Paris, France 
Mr. Pierre MONSARD, Université Omar BONGO, Gabon 
Mr. Laurent OWONDO, Théâtre National, Gabon   

2) Danse, Théâtre ou Musique: les Arts associés
Mr. François NKIELO ROSIRA, Commission Nat. UNESCO, Gabon
Mme. A. DARKOWSKA NIDZORSKI, CNRS, France, Pologne
Mr. Haasan KABEYA, CAFAC, Zaïre, Gabon 
Mme. Françoise GRUND, Maison des Cultures du Monde, France
Mr. Ayaminé ANGUILLET, Université Omar Bongo, Gabon 

3) De la Danse Traditionnelle à la Création Contemporaine Africaine
Mme. Germaine ACOGNY, Chorégraphe, Sénégal, Bénin
Mr. ASS .f1.YIGAH, Chorégraphe, Togo
Mr. Vyckos EKONDO, Musicien, Chorégraphe, Gabon
Mr. Alphonse TIEROU, Chercheur, Burkina Faso
Mr. KOFFI KOKO, Chorégraphe, Bénin
Mr. George MOMBOYE, Chorégraphe, Côte d'Ivoire
Mme Elsa WOLLIASTON, Chorégraphe, France, USA
Extraits des discours de Clôture

Suivi du colloque

VERSION DEFINITIVE DES ACTES DU COLLOQUE INTERNATIONAL
SUR LA DANSE EN AFRIQUE

(Libreville, 30 Mars - 1er Avri11995)

Le présent recueil a été réalisé sous la direction de Monsieur Vitelio HERRERA, Secrétaire Exécutif du CID, et de Monsieur Sacha KOCHANOWSKI, Vice Président de la FEDAG, avec la collaboration de Monsieur Jean-Flaubert NZUE, Producteur à la Radio Télévision Gabonaise, de Mademoiselle Christine ABARNOU, collaboratrice du CID et de Mademoiselle Marie Simone ATSAME, Collaboratrice du CICIBA.

Certaines communications ont été reconstituées à partir des enregistrements du Colloque. Toute éventuelle omission ou transformation des propos serait involontaire.

EXTRAITS DU DISCOURS DE MONSIEUR MARIO BOIS, 
PRESIDENT DU CONSEIL INTERNATIONAL DE LA DANSE AUPRES DE L'UNESCO

"... Nous allons donc réfléchir pendant ces trois jours de Colloque au thème "la Danse Africaine: de la tradition orale à la scène."

Ce thème est fertile, à la fois cohérent et contradictoire. Cohérent parce que la vie est rythme, le rythme engendre la danse, or toute l'Afrique plus que tout autre continent est rythme et danse.

Je vais citer le beau livre de Germaine ACOGNY qui est présente parmi nous. Elle y écrit: "la danse est pour moi un prolongement naturel des gestes de la vie".

Mais le contradictoire survient lorsqu'il s'agit de faire monter cette danse naturelle sur une scène, de la mettre en scène.

Va-t-il y avoir rupture, va-t-on la dénaturer, car on l'a souvent dit, et c'est vrai, l'Art est artifice.

Les personnalités qui participent à notre Colloque vont en débattre beaucoup mieux que je ne saurais le faire. Je les remercie très vivement d'être venues, d'être là, je me réjouis de les voir, de les entendre..."

EXTRAITS DU DISCOURS D'OUVERTURE DE
MONSIEUR ALEXANDRE SAMBAT, 
MINISTRE GABONAIS DE LA COMMUNICA TION, DE LA CULTURE, DES ARTS ET DE L 'EDUCATION POPULAIRE, CHARGE DES DROITS DE L’HOMME.

"... Et le thème retenu, "de la tradition orale à la scène", constitue une occasion de plus de mettre en exergue la danse, source retrouvée et préservée de nos traditions et de nos valeurs les plus authentiques.

En effet, à la fois forme d'expression corporelle et spirituelle, la danse est inhérente à la nature même de l'homme.

En Afrique, cette passion habite le cœur de tous les Africains; elle est omniprésente et s'exprime dès les premiers instants de la vie jusqu'au dernier moment qui marque celle-ci.

Devant cet illustre auditoire, je ne manquerai pas de souligner que notre Art traditionnel est, à n'en pas douter, un dénominateur fondamental de la création contemporaine en Occident.

Nous attendons de cette grande réflexion qu'elle fasse l'état des lieux, et qu'elle dégage une ligne nouvelle de pratiques chorégraphiques adaptées aux réalités de production moderne et de diffusion, pour permettre à nos spectacles d'être compétitifs sur le plan international, tout en préservant notre africanité…. »

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INTRODUCTION DE MONSIEUR SACHA KOCHANOWSKI, VICE PRESIDENT DE LA FEDERATION DE DANSE DU GABON

Dans le prolongement du Colloque International "La danse et le sacré" qui s'est déroulé à Valladolid, Espagne en Octobre 1992, le Conseil International de la Danse (C.I.D.) a organisé sous le haut patronage du Ministère gabonais de la Communication, de la Culture, des Arts et de l'Education Populaire, Chargé des Droits de l'Homme, une nouvelle plate-forme de réflexion sur le thème :"La danse en Afrique; de la tradition orale à la scène".

Le choix du Gabon, qui est situé sur l'équateur, repose sur l'exemple du pont qui est maintenu ici entre la tradition orale et les arts de la scène, de nombreuses troupes se produisant aussi bien dans les cérémonies rituelles qui rythment la vie quotidienne des familles gabonaises, que lors des spectacles qui sont régulièrement présentés sur scène.

Cette transition entre la tradition orale et les arts de la scène, qui ne peut manquer de buter sur certains écueils soulignés en amont et en aval par les détenteurs du savoir traditionnel et par les experts de la scène, a le mérite de mobiliser la jeunesse, les populations et les universitaires dans une même réflexion sur le sens de la théâtralité dans le monde contemporain.

En outre, la transmission de ce patrimoine culturel à travers les générations en présence favorise l'éclosion d'une expression dont le champ d'application se trouve, et sur le terrain des pratiques ancestrales, et dans les formes contemporaines d'un spectacle encore inédit.

En effet, la présentation sur scène de danses dont le contenu correspond à un enseignement encore en vigueur et dépassant le cadre du divertissement est un défi à la conception même du rôle de la danse dans nos sociétés modernes.

Les lieux communs de la danse, qui tendent à se rejoindre d'un continent à l'autre comme des pôles magnétiques, émergent de cultures spécifiques pour n'être plus qu'un fruit unique de l'homme au centre de l'univers.

Cette constante aspiration de la danse à l'universel est rigoureusement endiguée par une volonté aussi forte à préserver les caractéristiques propres à chaque entité culturelle.

La Fédération de Danse du Gabon (FE.DA.G.) qui est l'antenne gabonaise du C.I.D.- UNESCO espère que le débat initié à Libreville, tout en puisant aux sources de la tradition orale, dégagera aussi une dynamique de création chorégraphique qui permette aux danseurs africains d'accéder à la place qu'ils méritent sur la scène internationale.

 

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THEME1

TRADITION ORALE COMME SOURCE DE LA THEA TRALITE

COMMUNICATION DE MONSIEUR NANG EYI (GABON) PROFESSEUR A L'UNIVERSITE OMAR BONGO LIBREVILLE.

"... Ma communication s'inscrit dans le droit fil du thème: tradition orale source de la théâtralité, revenant donc à la source du Théâtre, pour ne pas dire à la source de la théâtralité.

N'étant ni expert de la Danse, ni des Arts de la Scène, j'aborderai donc ce sujet sur l'angle de la tradition orale; je commencerai par le théâtre.

Je prendrai comme point de départ une citation de PROUTEAU, mise en exergue en 1970 lors du Colloque d'Abidjan sur le théâtre africain.

Je cite: " s'il y a une chose que l'on s'attend peu à rencontrer dans les villages de la brousse africaine, c'est bien une représentation théâtrale, si rudimentaire soit elle.

Le Noir qui adore entendre raconter les fables, les légendes, semble au moins pour la grande majorité de ceux que j'ai connus, absolument étranger à la conception d'une fable mimée et jouée par les individus incarnant les Héros de l'aventure.

Même les plus lettrés de nos indigènes ont quelque peine à se faire une idée de ce que nous appelons Théâtre, tant qu'ils n'ont pas eu l'occasion d'une expérience professionnelle, car cette idée ne correspond à rien dans leurs souvenirs, les seuls divertissements que leur adolescence a connu sont les danses, souvent désordonnées" je souligne "désordonnées", "parfois réglées. . . "

Alors vous comprenez bien que même par rapport à la terminologie, nous sommes déjà loin du problème que nous traitons parce qu'il y a une certaine connotation des termes employés ici par PROUTEAU.

Je me pose donc la question de savoir si l'inexistence du Théâtre Africain en tant que tel dans le sens occidental du terme, et en tant que manifestation de la société occidentale, explique-t-elle l'inexistence de la théâtralité au niveau de la tradition orale ?

Et par rapport à cette question, je pourrais me poser une autre question. qu'est-ce que la tradition orale ?

De nombreux chercheurs se sont penchés sur le sujet dont certains, jusqu'aujourd'hui, ne sont pas encore tombés d'accord, et il en va de même pour l'expression: littérature orale.

Nous avons par exemple les définitions de Yan Van SINA qui parle d'un message laissé par les ancêtres sous diverses formes, ainsi que les contes et légendes. . .

Nous avons également l'appréciation d'un historien africain célèbre, Joseph Kizerbo, qui parle du témoignage transmis par son peuple sur son passé.

Quant à moi, je rejoins le professeur Honora AGUESSI qui a essayé de dégager dans le vaste chant couvert par la tradition orale certains secteurs.

C'est ainsi que nous pouvons parler des secteurs qui concernent les proverbes, les contes, les chansons, les dictons, les paraboles, les scénettes, mais il y en a encore d'autres dont l'anthroponymie, l'artisanat, la pharmacopée, les mythes et les éléments culturels véhiculés par les récits et rituels religieux.

Nous pouvons donc constater que la tradition orale couvre un vaste champ. Je pourrais encore dire sur le Théâtre, en citant un illustre Gabonais qui vient de disparaître (le dramaturge Vincent de Paul NYONDA) et qui l'a écrit sur sa maison: "tout est théâtralité".

Et par conséquent, on peut dire que moi qui donne ici une conférence, je suis en train de faire du théâtre, le médecin qui soigne son malade fait du théâtre, l'agriculteur qui laboure son champ fait du théâtre.

Prenons maintenant l'exemple de la cérémonie MEKOM, pluriel de AKOM qui, chez les Fangs du Gabon, signifie fabriquer, organiser.

Dans cette danse, la théâtralité se retrouve d'abord au niveau de l'accou­trement : le chanteur de Mekom qu'on appelle Ndzô Mekom c'est-à-dire "Celui qui dit les arrangements", se distingue par un bonnet de plumes, trois peaux de chat de tigre pendues a sa ceinture, un morceau de corne ou de bois planté dans l'une de ses narines pour donner à sa voix un éclat nasillard; il tient dans une main une sorte de mirliton et de l'autre, une corne d'ivoire "Zock Mekôm" dans laquelle il souffle...

Ce personnage est déjà tout un théâtre à lui seul.
En plus de cet aspect vestimentaire, nous avons la danse et les chants avec l'Akôm qui chante des couplets; les autres participants répondent en effectuant divers mouvements, accompagnant les chants en frappant l'un contre l'autre des bâtonnets.

Au niveau du drame, nous avons un échange de paroles; un dialogue se forme entre le chanteur principal et les autres membres de la communauté.

Il y a donc une participation plus active par rapport au théâtre occidental parce que le spectateur fait partie des acteurs même de la cérémonie; n'oublions pas que le chanteur de Mekôm parle des choses du passé et qu'il y a donc récit.

Il est placé au centre du cercle de l'assistance, ce qui fait qu'il y a moins de danse que de chant et de parole. Cette danse de Mekôm est une mise en scène du travail du fourneau, donc de la fonte du fer, travail pratiqué chez les Fangs d'antan.

Nous pouvons constater ce qui suit: les travaux du fourneau, et les performances de la danse Mekôm *sont présidés par un même personnage; les instruments qui sont utilisés semblent une reproduction des outils de fourneau. La disposition en cercle des hommes, et les mîmes du Chanteur paraissent reproduire intégralement le travail du fourneau.

D'autres danses de la société Fang, interprétées par des femmes coiffées de plumes d'oiseaux ont souvent été mal interprétées par les ethnologues de passage. J'ai même entendu au colloque d'Abidjan que ces plumes symbolisaient des danses d'oiseaux.

Il n'en est rien. Chaque danseuse porte un nom qui lui est propre dans l'interprétation de son rôle. Ces noms constituent des espèces de devises avec des pas de danses s~l&cifit1ues qui mettent en exergue le caractère du personnage.

Je terminerai mon propos par le Mvet, épopée des Fangs du Nord du Gabon, qui constitue l'exemple même du théâtre sur scène dans la mesure où l'on dispose d'un espace scénique et que l'auditoire est assis de chaque côté, le conteur se plaçant de telle sorte qu'il tourne le dos à la forêt.

Nous y retrouvons encore la déclamation, un récit, donc la littérature orale avec la musique, le chant et la danse. Dans le Mvet, gestes, chants et danses sont indissociables, et nous pouvons considérer le joueur de Mvet comme auteur ­compositeur -Acteur.

En conclusion, la tradition orale à travers ces différents secteurs constitue une source importante de la théâtralité et elle doit donc être prise au sérieux car c'est un modèle de culture; quand je parle de modèle de culture, il faut comprendre par là que c'est une autre forme de culture différente de celle de l'Occident qui a la sienne Cette tradition orale peut occuper une place importante dans la connaissance et la valorisation du passé africain.

Les civilisations africaines qui sont les civilisations de l'oralité, les civilisations du verbe, du rythme et du symbole, doivent être promues, sauvegardées afin de participer pleinement aux rendez-vous du donner et du recevoir.

A l'aube du troisième millénaire, il est temps de parler du Théâtre de l'univers, théâtre au sein duquel toutes les civilisations se reconnaîtront.

Il est temps de reconnaître aux peuples d'Afrique ce qui leur est propre, ce qu'ils détiennent, avec une approche beaucoup plus objective.

La tradition orale peut être et doit être d'un apport positif et considérable pour la connaissance et le développement des Arts de la Scène.

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THEME 1 SUITE

TRADITION ORALE COMME SOURCE DE LA THEA TRALITE

COMMUNICATION DE MONSIEUR JACQUES BINET (FRANCE)
PROFESSEUR D'HISTOIRE DE L'ART AFRICAIN A LA SORBONNE

Peuple de la Danse disait L. S. SENGHOR à juste titre, en Afrique cet Art est là au carrefour de toute recherche artistique.

La sculpture est dans la plus part des cas utilisée pour produire des masques de danses; la musique où dominent percussions et rythmes est là pour accompagner la danse; la peinture, si l'on veut classer ainsi les marques corporelles, orne les corps des danseurs.

Et pourtant, en faisant un inventaire de la peinture africaine, on s'aperçoit que le nombre de tableaux consacrés à la danse est faible ( 5 ou 6 après examen de plus de 100 images).

Or, quand on connaît les danses pittoresques de masques qui ont lieu lors des fêtes, défilés ou ballets, on se demande pourquoi cette part du patrimoine artistique est-elle négligée par les peintres.

Peut être y a t il une explication dans l'extrême retenue qui caractérise les élites africaines... Dans les milieux musulmans, en particulier, il serait de "mauvais genre" de s'exhiber.

Une réflexion plus poussée sur la danse africaine peut fournir des explications plus claires. La danse est un art complexe.

Nous, Occidentaux du XXème siècle, en avons oublié le caractère sacré pour retenir le plaisir des mouvements qui mobilisent et harmonisent les êtres dans une communion.

L'aspect spectaculaire et théâtral n'est pas prédominant dans les danses africaines, mais il est présent.

Les danses Ngan chez les Fangs du Gabon fournissent un exemple de représentation orientée vers le public. Etudiée en 1966, elle faisait intervenir une maîtresse de chœurs, chanteuse assise.

Vêtue à l'instar des modes traditionnelles, elle essaie d'évoquer le passé. Touffes de raphia ou de rubans aux biceps, plumes sur la tête, peaux de bêtes à la ceinture, plumes et rubans flotteurs selon la cadence.

Des sonnailles attachées aux genoux marquent le rythme avec le tambour Ngou. Les récitatifs sont composés de proverbes, de minces historiettes villageoises. Jadis, les histoires contées étaient mystérieuses. Une cosmogonie oubliée s'y révélait.

On y voyait Dieu (ou l'Ancêtre) recréant ses filles avec le sang des bêtes... Aujourd'hui, une histoire assez simpliste d'adultère avec des marionnettes vient tenir ce rôle. .

La troupe - chanteuse, chœur et musiciens - se déplace en contre partie d'une rémunération pour animer des soirées villageoises.

Les créateurs de la danse Eko de Gaulle ont aussi voulu monter une représentation, tout en faisant danser les villageois. Les membres de l'association arrivent dans la journée et disposent les lieux: cour balayée, tonnelles de feuillages; et délimitent soigneusement une "parcelle" où l'on dansera sur les indications d'un "aboyeur".

Les dignitaires du ballet se mettent en tenue. Le "De Gaulle" choisi pour sa taille porte un képi (ou une chéchia), et une canne où sont insérés les "médicaments" de la danse - des morceaux d'ossements humains.

Un docteur ou infirmier porte une blouse blanche avec une croix rouge et une boite de médicaments. Il vérifie la propreté et aura à soigner d'éventuels malades...

Un "commissaire de police" ou "ministre de l'intérieur " fait régner un ordre que nul ne songe à troubler; un "ministre des finances" ou "douanier" fait payer les entrées.

La danse est organisée par de pseudo militaires qui associent les couples, après deux rondes initiales où hommes et femmes tournent en sens contraire.

A l'arrivée du général, tout le monde se précipite. Le "De Gaulle" serre des mains, félicite le public. Si quelque ivrogne se fait remarquer, la "gendarmerie nationale" l'appréhende. Des amendes sont perçues si quelqu'un empiète sur la parcelle réservée aux officiels­!

Les chants sont un mélange de chants d'amour et de couplets politiques.
Mise en scène de l'histoire, sociodrame où l'on réfléchit au rôle des gouvernants, esquisse d’une organisation qui s'amenuise depuis 300 ans par les migrations et dont les Fangs ont gardé la nostalgie, la compagnie de danse est tout cela. Spectacle aussi et spectacle payant: le notable qui fait venir le groupe doit le payer.

Le masque Kidumu des Téké (Congo) serait également le symbole et l'instrument d'une organisation purement théâtrale. Sa face plate et ronde, parfaitement symétrique, représenterait un visage.

L'accumulation des éléments de magie vont attirer la chance sur le spectacle : lune et étoiles pour que le public puisse venir, termites pour qu'il soit nombreux comme les termites à leur envol, python pour que le danseur soit souple, crocodile pour assurer la protection des ancêtres... tous ces éléments ne sont pas fixés mais utilisés selon le goût du "maître de ballet".

La danse Akwa va nous fournir l'exemple d'un ballet spectaculaire. Elle est de création récente disent ses fondateurs. (et pourtant, ce nom ne signifie t’il pas la "forge" où Dieu a créé l'homme?).

A la suite d'un rêve en 1959, deux frères ont eu, l'un la révélation de la musique, l'autre celle des chants' et de la chorégraphie. Après s'être consultés, ils organisèrent méthodiquement cette tragédie de danse.

Le "corps de ballet" comprend 7 garçons en tenue de sport, culottes de foot, chemisettes à liserés, bas aux couleurs nationales; 12 femmes sont vêtues de blouses et de jupes blanches aux mêmes liserés.

Deux rondes concentriques tournent en sens contraires. Puis elles se rompent et deux files se séparent, s'éloignent, se rapprochent. Les femmes font tournoyer un foulard qu'elles vont une par une porter au garçon de leur choix. Ceux ci retournent la politesse, aux mêmes ou à d'autres.Les hommes prennent des positions qui évoquent la gymnastique: marche accroupie, bras dessus bras dessous, courbés, se tenant la main, serrés se tenant en un bloc.

Un "commissaire" est là pour activer les danseurs, pour contrôler I~ justesse de leurs mouvements et pour veiller au règlement, politesse, propreté, discipline. De temps en temps une choriste se détache du groupe et vient saluer les autorités.

La présence d'une structure administrative lourde et visible est probablement caractéristique des Fangs.Entremêlés aux chants politiques louant le président ou déplorant son absence, des chants amoureux accompagnent la transmission du foulard, les incursions des hommes vers les femmes...

Il faut souligner la diversité des éléments constitutifs de ce ballet. "Le spectacle, sa finalité économique, les aspects patriotiques, les déclarations amoureuses, la magie se mélangent avec le sens de l'organisation.

Certaines danses sont positivement religieuses. Dans le Gabon des années 60, les femmes de l'Ekwan Maria (confréries de Marie) chantaient des cantiques tout en dansant une ronde. L'église catholique a vu ce mouvement naître au Cameroun vers 1954. Le supérieur de la mission catholique de Sangmepima était prié de dire une messe dans un village pour célébrer une réunion féminine, chants tirés de l'évangile, récitation du rosaire et de ses mystères, tout cela était très orthodoxe.

L'Ekwan étendait son action. Une fête s'organisait. Les villageois préparaient un repas pour leurs hôtes; la compagnie diffusait son message et aidait à mettre sur pied une filiale: messe, prédication... l'aspect religieux était toujours essentiel. Il semble que cette danse à solide connotation religieuse soit exempte de magie, de "médicament", de fétiche. Il serait paradoxal qu'il en soit autrement.

D'autres danses modernistes, à visées politiques semblent également étrangères aux médicaments. Dans un désir d'inculturation, les catholiques (et probablement aussi les protestants) ont essayé d'adapter la liturgie: procession d'entrée, offrandes amenées solennellement. Des chants et des instruments de musique ont été reçu dans le sanctuaire. Jadis, il y avait une certaine réticence.

En effet, les tambours comme tous les autres instruments sont souvent personnifiés. En dehors de la musique qu'ils émettent, ils ont une personnalité. Bonne ou mauvaise ? A la simple audition d'un certain tambour, tel danseur peut entrer en transe, possédé par l'esprit du tambour.

On comprend les hésitations du clergé européen ou africain. Cependant, des Bénédictins au Sénégal ont adopté la Kora... En Côte d'Ivoire, de simples cultivatrices composent parfois des cantiques. Elles les apprennent à leurs amies, et comme dans le cas du Gabon, font des tournées pour diffuser leur pieux message, musique rythmée de battements de mains et de pieds. . .

Dans les milieux puritains, on insiste assez souvent sur le caractère sexuel de danses et on explique ainsi la réprobation qui pèse sur ceux qui s'y livrent. Le "Gerewol" des Foultés Bororos est un exemple de danse de séduction. Parés de bijoux, fardés, les lèvres peintes à l'indigo, les jeunes gens dansent lentement, en ligne, pour se faire admirer des filles. Ils ont bu avant la cérémonie un mélange de miel rouge, de lait, frotté des fibres rouges et du gypse pilé pour donner de l'éclat à leur teint.

En fait, un certain nombre de peintres se sont intéressés aux masques mais ils ont représenté un objet inanimé et jamais le masque dans ses danses. Tout se passe comme si, connaissant le goût des artistes puis du public occidental pour l'Art africain, ils valorisaient cette part de leur héritage, négligeant le masque en mouvement, ses fonctions et la danse en général.

Les films documentaires sur les danses où les masques ne sont pas rares. Il serait important de savoir si ces films et ces succès, surtout en Occident, ont eu des effets sur les danseurs. A travers les œuvres de Rouch qui a filmé plusieurs années de suite les danseurs dogons, on doit pouvoir se faire une idée des répercussions du tournage sur la vie des danseurs.

Dans le film "Sigui 1974" en particulier, reconstitution de la cérémonie de 1972, les acteurs ont-ils perdu leur sincérité ? Les Dogons et leur culture ont gagné beaucoup de prestige auprès des intellectuels africains, des peintres en particulier (S. Keïta utilise, le signe du dogon).

Sur le plan local, leur dynamisme ne semble pas entamé. Il doit être possible de passer de la glorification des ancêtres à la glorification de la culture noire.

Peut-être l'attitude des Africains vis à vis de leur danse est-elle ambiguë parce que cet art est chargé de surnaturel ? Mais ces références aux esprits de l'au-delà sont probablement nécessaires pour galvaniser les énergies. Il y a eu des groupes chorégraphiques qui ont eu du succès en Europe. Il serait indispensable, pour notre propos, d'en établir la liste et de chercher les causes de leur réussite ou de leur échec.

INTERVENTION DE MONSIEUR AYAMINE ANGUILET, 
PRESIDENT DE SEANCE, A L'ISSUE DE LA COMMUNICATION DE MONSIEUR JACQUES BINET

"... Je voulais dire également que la danse De Gaulle n'a pas pour objectif de folkloriser. J'entends par là que l'autorité politique dans notre pays, est une autorité essentiellement précaire et que cette précarité se traduit ici par le jeu: on joue le jeu de l'autorité.

Dans Eko De Gaulle, on banalise Sa réputation et Son autorité en les tournant en quelque sorte en dérision. Il y a tous les symboles du pouvoir. Et la canne dont vous parliez n'a pas de signification, elle évoque le BIERI (relique des ancêtres) mais ici, c'est un Bieri qu'on a dépouillé de son caractère sacré.

C'est pour échapper au poids, à la contrainte du sacré dans le quotidien; c'est ainsi que je vous disais qu'il n'y a pas de différence, de césure dans nos sociétés : l'homme est humain et surnaturel à la fois.

Même quand il s'agit d'un Chef traditionnel, à un moment donné, il est tourné en ridicule, en dérision, pour banaliser son autorité, pour qu'il prenne conscience qu'il est au service de la société, et non l'inverse. C'est ce qu'évoque Eko De Gaulle.

La présence du douanier correspond au fait qu'à l'époque coloniale, l'autorité la plus prépondérante était le Douanier. Les paquebots et les cargos amenaient aux ports toutes les richesses, lesquelles étaient sous contrôle des douaniers.

Le douanier a un uniforme, les anciens combattants comme on les appellent ici les tirailleurs avaient un uniforme, le milicien c'est-à-dire le policier avait un uniforme; la Danse De Gaulle est donc une mise en scène de l'Etat rendu au stade de miniature, avec ses suppôts, le douanier qui taxe: il faut passer par lui pour aller acheter sa liqueur au paquebot.

C'est ce qui s'opère dans la Danse De Gaulle, et qui se retrouve un peu dans toutes les danses: si l'on veut comprendre le jeu de dérision et de banalisation, même ce qui est sacré, il faut regarder les enfants imiter toutes les danses, qu'elles soient sacrées ou pas.

Les enfants imitent et ne sont pas punis pour cela. Mais lorsqu'on organise la danse avec son aspect sacré dominant, si l'enfant ou le non initié arrive, alors tout de suite, il y a sanction..."

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LA TRADITION ORALE COMME SOURCE DE LA THEA TRALITE

COMMUNICATION DE MONSIEUR PIERRE MONSARD
(GABON) PROFESSEUR A L'UNIVERSITE OMAR BONGO, LIBREVILLE

" Madame le Rapporteur, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs: ma communication va porter sur la danse, phénomène de l'oralité et de la culture traditionnelle.

L'oralité présente une assise structurée, une trame à laquelle la mémoire peut s'accrocher. La profération de la parole fait que tout texte n'a d'existence que vers le public, par le public et pour le public.

De par ce constat, nous avons circonscrit quelques paramètres conditionnant l'idée de la scène dans le monde traditionnel.

Nous ne parlons pas de théâtre mais de l'idée de la scène, car la notion de théâtre n'a pas nécessairement ses origines en Afrique noire.Cette idée de théâtre "actualisations des instants de la vie" est strictement associée à la danse, car c'est l'espace de l'expression du geste, de la parole libre ou codifiée et de la communication ouverte où l'Art est générateur de simulacre et lieu de fantasme.

Notre communication portera donc sur ces notions de simulacre et de fantasme. Le simulacre de qui ? - Celui d'un performateur de la parole que nous appellerons le JE, qui, lui-même, fait le JEU des intervenants et de l'assistance. C'est à partir du simulacre intégré dans le JEU de la parole traditionnelle que l'on peut mieux comprendre la relation entre le théâtre, la danse et l'oralité.

Comment comprendre le simulacre ? Les peuples traditionnels d'Afrique noire éprouvent le besoin de théâtraliser leur vie; c'est-à-dire de figurer les mythes, les symboles, au moyen de la danse et de la parole traditionnelles.

Il s'agit pour ces peuples de faire mouvoir les apparences par des représentations scéniques, et surtout par le biais d'un "acteur - conteur - personnage danseur" qui pour le Gabon et le Cameroun se retrouve dans le Mbom-Mvet.

Le simulacre tient de la transformation, de la feinte, desquels on peut saisir l'Art théâtral Négro africain, car on y joue des scènes de la vie quotidienne à travers les contes, les légendes et des fables.

Participe à ce jeu du simulacre le JE, maître de séance qui est le conteur professionnel ou occasionnel, le Griot en Afrique soudano sahélienne, ou le Mbom..Mvet en Afrique centrale; il est l'ordonnateur du JEU, celui qui donne le rythme de la voix, mais aussi la mesure du pas de danse; il est le coryphée qui rythme la cadence, le chant et la danse qui accompagnent la parole traditionnelle.

Le statut de metteur en scène est régi par le performateur qui joue les personnages, chahute le public, se joue par des astuces et des effets de langage du public qu'il entraîne par des procédés factices à la participation active.

Cette adhésion ne saurait être passive dans la mesure où le public applaudit, critique, censure et évalue la performance du JEU.

Ainsi intégré à la mise en scène générale, le public devient personnage, qui simule et amplifie le simulacre par intérêt ou par plaisir. Les liens de la relation danse-théâtre-oralité se situent dans cette configuration charnelle et métaphysique du plaisir.

Comment comprendre cette relation de cognition établie entre le public et le JEU: c'est une osmose entretenue par les ondes de la voix et du corps, l'ondulation des hanches, le martèlements des pieds sur le sol, les claquements des mains.

Toute cette atmosphère musicale, gestuelle, donne à la parole orale, déclamée ou dansée, son envergure communautaire; car l'Art n'est mieux partagé que quand il est communautaire.

Il ne s'agit pas tant de savoir quelle est de manière hiérarchique évolutive ou qualitative qui, de la danse, du texte oral ou du théâtre a la primauté sur les manifestations culturelles: ceci équivaudrait à créer entre ces différents Arts des frontières abstraites qui ne se justifieraient point.

De par la nécessité de son fonctionnement, nécessité d'un public, relation permanente de la danse et du chant, notion de la mise en scène,… l'oralité traditionnelle engendre un Art verbal global où n'est perçue que la pérennité de la tradition détentrice des valeurs culturelles fondamentales.

Mais cette pérennité n'est pas synonyme d'immobilisme. Elle accepte les influences, les ouvertures. Comment comprendre cet Art total (parole traditionnelle, danse, théâtre, musique) qui dévoile la communauté par le simulacre en usant des mises en scènes pratiques, utilitaires et pourquoi pas pédagogiques ? N'est-ce pas là la mise en scène des fantasmes du groupe qui sont mis à nu ?

L'oralité par la mise en scène théâtrale et par l'identification anthropomorphiques des personnages, des danses et des mythes, suggère des fantômes, des visions, des esprits qui fonctionnent comme des masques qu'il faut découvrir pour pouvoir lire les symboles qui s'y cachent.

Certaines danses rituelles recèlent de longs messages qui redisent les mythes fondateurs du clan en simulant les faits guerriers passés, illustrés par le maquillage des artistes et la gestuelle des danseurs à partir desquels on peut lire le rêve, le besoin de sublimation ou de transcendance d'une communauté.

La danse devient alors langage et comportement. Les danses africaines suggèrent un érotisme qui révèle des hymnes à la joie et libère des censures, des tabous comme c'est le cas chez les Yaka du Congo et du Gabon avec les danses et les chansons des jumeaux.

D'autres danses remettent en scène, avec leurs pas guerriers et leurs chansons viriles déclamées, les gloires des peuples qui ont combattu pour la libération de leurs communautés, comme dans les chansons Zoulou et Kossa.

Toutes ces diverses danses peuvent être comprises comme des manifestations fantasmatiques de sublimation, de perfection et de résurgence d'idéaux, implicitement avoués et explicitement joués. Les peuples racontent leurs désirs, leurs tabous par le geste, la voix, le corps et la danse.

L'oralité, par la dimension de la danse, devient alors cette cérémonie populaire où le peuple exorcise ses frayeurs comme avec le masque Okoukwé chez les Mpongwés du Gabon, qui exprime ses contradictions, ses joies et ses espérances.

Enfin pour terminer, l'oralité traditionnelle, avec sa conception du théâtre et de la danse peut donner au théâtre africain sur le mode occidental des chances de modernité. .

Au lieu de se présenter dans sa formule actuelle qui nous apparaît mécanisée et stéréotypée avec un metteur en scène extérieur au texte, un public souvent passif et distant, voir étranger et aliéné; et l'oeuvre de création perçue comme une simple mystification de l'esprit, l'oralité offre au théâtre occidental le consensualisme des esprits, des corps et des destins, c'est-à-dire l'Art qui se partage.

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THEME 1 SUITE

LA TRADITION ORALE COMME SOURCE DE LA THEA TRALITE

COMMUNICATION DE MONSIEUR LAURENT OWONDO
PROFESSEUR, ECRIVAIN, DIRECTEUR DU THEA TRE NATIONAL DU GABON

" Monsieur le Président, Madame le Rapporteur, Mesdames et Messieurs; je voudrais en guise d'introduction souligner que le thème général de ce Colloque " du rituel à la scène " sous-entend la polémique autour de l'existence ou de la non existence du théâtre en Afrique.

En effet, il semble qu'est pris en compte ici l'argument selon lequel le mot théâtre, recouvrant une conception spécifiquement occidentale, et sa pratique en Afrique faisant parti des apports de la colonisation au même titre que le christianisme, on ne saurait parler de Théâtre Africain contemporain d'autant plus que ce théâtre se présente d'après des schémas qui obéissent à un code étranger à l'Afrique.

Dès lors, le rituel est posé ici comme un recours susceptible de pallier le vide, l'absence d'une forme d'expression dramatique moderne, propre à l'Afrique.

Cet appel à la cérémonie rituelle a donné lieu dans le pire des cas à un théâtre folklorisant et exotique, à l'instar des fameuses "soirées au village", ou de ces pièces dont certaines séquences sensées restituer la tradition la réduisent et la vident de toute signification.

Ce n'est pas parce qu'un acteur noir bat sauvagement un tam-tam, qu'il y a des danseurs noirs qui exécutent des pas qu'ils ne comprennent pas eux-mêmes, hurlent des chants qui n'ont aucun pouvoir émotif, qu'il faut affirmer de manière péremptoire qu'on fait du théâtre africain.

Au delà de ces cas flagrants du mauvais usage de la tradition, le recours au rituel, à l'oralité sur scène pose des problèmes de fond qui conduisent à un certain nombre d'interrogations.

En effet, n'est-il pas illusoire par exemple, de vouloir retrouver l'esprit des rituels, étant donné que le retrouver nécessiterait la reconstitution des réalités sociales, politiques et religieuses de ceux qui les ont engendré; d'autre part, sachant que chaque fois qu'un rituel s'éloigne du milieu qui le rendait compréhensible, on assiste à sa dégradation, à sa nullité.

Quelle validité peut avoir par exemple la restitution du rituel de l'Ivanga pour un pub1ic n'appartenant pas à ce groupe.

Une autre question, toute aussi fondamentale si on considère le théâtre comme un instrument de libération, de lutte, de prise de conscience : est que l'une de ses fonctions principales est la remise en question des mythes et vérités établies ?

N'y a-t-il pas incompatibilité avec le rituel qui, par essence, vise à maintenir les choses en état, défend les normes sociales, un ordre établi ?

Toutes ces questions démontrent à souhait que le passage du rituel à la scène ne va pas de soi; en tout cas, elles donnent la mesure des difficultés et des problèmes qui se posent à ceux qui prennent le parti d'élaborer un théâtre sur le modèle esthétique des cérémonies rituelles.

Ca et là, des idées ont été émises, des expériences tentées, notamment en Côte d'Ivoire avec le Théâtre Rituel de Marie Josée ORANTIER, la Dromologie de Niangara BOUA, la Griotique de Nyangora PORCHE, le Didiga de Bernard Zadi ZAORO.

Toutes ces expériences ont prouvé qu'un théâtre africain qui puise son esthétique des formes dramatiques traditionnelles était encore à créer, et que c'est dans la pratique, plus que dans la théorie qu'il se fera.

C'est dans ce sens que nous avons voulu apporter notre contribution à ces travaux, en exposant brièvement la démarche que nous avons suivie au sein du Théâtre de la Rencontre, pour la mise en scène d'un rituel.

Le point de départ est un texte, un poème, disons un chant de Diatta DOUMA intitulé MISSOKO.

L'argument: une voix relate les différentes étapes d'une initiation au Missoko, une des variantes du rituel du BWITI (il s'agit d'un rite du sud du Gabon et qui est pratiqué aujourd'hui sur presque tout l'ensemble du Territoire).

Depuis le titre, la référence à ces rituels était constante dans le texte de Diatta DOUMA. Le piège aurait été de vouloir reconstituer sur scène le temple du Bwiti, et de se livrer à une restitution de la cérémonie.

Notre démarche a été de rechercher le théâtre dans les temples du Bwiti, en répertoriant ce qui nous est apparu comme constituant des éléments théâtraux.

Le propre de tout rituel, et en l'occurrence de celui du Bwiti, c'est l'exploitation efficace d'un certain nombre de techniques, de symboles, de couleurs, la lumière, l'espace, la participation des assistants.

Nous nous sommes emparés de quelques uns de ces signes scéniques, non pas pour les reproduire tels quels, mais pour les distribuer en significations nouvelles, en les adaptant pour tenir compte des forces en place; c'est-à-dire de la situation actuelle du Gabon. Pour illustrer mon propos, étudions le traitement qui a été fait dans Missoko du mode de réception emprunté à la cérémonie rituelle du Bwiti.

Le mode de réception joue un grand rôle dans les rituels du Bwiti, dans la mesure où l'assistance n'est jamais réduite à l'attitude contemplative. Elle participe, elle est engagée dans le rituel.

Cette technique est cruciale en ce qui concerne la scène, car elle touche à la fonction que le théâtre exerce pour le spectateur.

Dans le Missoko, nous avons tenu compte du fait que le spectateur apporte avec lui de nombreuses déterminations, ses goûts, ses habitudes, sa structure mentale. Il vient au théâtre pour réaliser ses attentes.

Or spontanément, il s'intéresse plus à l'intrigue qu'à sa signification. Il cherche à suivre le fil directeur plutôt qu'à déchiffrer les signes. L'identification à l'acteur, aux personnages, sert de support à ce mode de réception, dont le ressort premier est l'évasion.

Le problème avec l'identification c'est qu'il peut conduire le spectateur à oublier sa condition réelle. Or si le théâtre se veut libération, il faut rompre avec ce schéma, et créer un nouveau rapport du spectateur au spectacle.

Toute une partie de la dramaturgie du Missoko s'est élaborée pour opérer cette rupture en privilégiant les éléments de signification, en les inscrivant dans les éléments de décor, les accessoires les costumes et la gestuelle.

D'autre part la participation du public a été représentée au sein même de la dramaturgie. Le travail scénique multiplie les appels au public, soit en l'interpellant, soit par l'insertion d'éléments propres à susciter ses réactions, afin que la participation ne soit pas seulement la participation à l'événement, ou identification à un personnage, mais engagement dans la représentation.

C’est ainsi que nous avons pu retrouver l'efficacité du mode de réception de la cérémonie rituelle.

En conclusion, le passage du rituel à la scène exige l'adaptation. Vouloir à tout prix restituer le rituel, refuser de modifier sa forme, conduit à l'impasse; c'est à la réadaptation que peuvent au contraire s'ouvrir des voies fécondes pour le dramaturge qui peut, à partir des rituels, trouver des modèles de situations et de personnages, et pour le metteur en scène et l'acteur, des modèles de jeux théâtraux.

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THEME 2

" DANSE, THEATRE OU MUSIQUE : LES ARTS ASSOCIES"

COMMUNICATION DE MONSIEUR François NKIELO ROSIRA (GABON)
HOMME DE THEATRE, COMMISSION NATIONALE DU GABON POUR L’UNESCO

Ma communication englobera les thèmes de Danse, Théâtre et1 Musique car je considère que chez nous il s'agit d'un spectacle total.

Puisque nous allons parler de Danse, de Musique et de Théâtre dans une anthologie spécifique, ce thème nous renvoie à des souvenirs qui troublent notre mémoire, et pourrait tout aussi bien perturber notre conversation si nous manquions de respect à la Tradition.

Je dédie ma communication aux grands Créateurs gabonais qui se sont distingués dans les domaines que nous allons aborder, et en mémoire des éminents artistes qui ont quitté la scène visible et physique pour évoluer sur une scène plus vaste, plus envoûtante, celle de l'au-delà, plus impalpable, tels Daniel ODIMBOSSOUKOU, comédien, acteur et metteur en scène de haut niveau, Raymond REVERO, acrobate incomparable et du père du Théâtre Gabonais, Vincent de Paul NYONDA, qui vient de partir... j'invite le public à observer une minute de silence.

Mon propos est centré sur mon expérience personnelle, celle que j'ai mené dans le cadre de ma recherche sur le théâtre au Gabon.

Il est basé sur la création d'une expression authentique, originale et percutante. J'ai recherché à mettre à jour la richesse, la solidité de la créativité gabonaise qui puise essentiellement son inspiration dans les rites et croyances sur lesquels se fonde le génie créateur de notre Peuple.

Ayant effectué mes études artistiques en France, et initié à différents rites anciens, je ne pouvais concevoir une expression artistique dépouillée des éléments fondamentaux, fondamentalement authentiques et fécondants de notre patrimoine, de mon enfance, de mon univers mystico-traditionnel, qui me hantaient comme des fantômes au cours de mes études.

Tous ces éléments influençaient mes investigations, ma gestation intérieure, car devant chaque enseignement reçu à l'étranger, je me posais la question de savoir à quoi cela servirait-il dans ma quête de la revalorisation, de la réhabilitation de notre culture.

Voilà succinctement le sens de ma démarche sur le plan théâtral.
II s'avère que le gestuel, la musique, les contes et légendes étaient reflet de notre univers magico religieux et que ces choses constituaient nos valeurs essentielles, de véritables expressions artistico culturelles qui associaient, intégraient une multitude de genres et de disciplines culturelles.Il fallait s'orienter donc vers la création d'un Art Total.

Relevons cet exemple: au cours d'une soirée de danse, de narration de contes, on savourait un beau texte entrecoupé de chansons, de roulements de tam-tam, du son de la cithare, du sanglot de l'arc musical; le conteur esquissait de temps en temps des pas de danse...

Ainsi, à chaque manifestation, on ne pouvait dissocier ta musique de la danse, et la danse des aspects théâtraux.

Permettez-moi de rapporter ici tout le mysticisme et le symbolisme du spectacle sacré qui met en mouvement toute la mimique intérieure de l'Homme Noir.

Lorsque la disette ou le manque de gibier survenait dans le village, le Chef invitait les habitants à organiser une cérémonie rituelle avant le départ des chasseurs en brousse.

Ainsi le lendemain les chasseurs ramenaient des "signes" de gibiers abattus. Ils surgissaient du fond du village, en balançant d'un geste éloquent et magique la queue de l'animal tué.

Tout le village accourait, attiré par ce geste rituel et, dès que l'animal avait été identifié, c'était la fête qui commençait avec frénésie, tout un théâtre vivant, mimé, chanté, dansé, baignant le pantomime.

Cette évocation est destinée surtout à vous présenter un aspect très symbolique qui démontre le génie créateur puisé dans la tradition, qui fixe dans le temps et dans l'espace un rythme et une musicalité qui colorent cet univers intérieur et sacré.

C'est ce monde et cette magie cousue de signes et de symboles que je voulais vous présenter, et qui habite l'artiste africain dont l'Art, dont l'expression ne peut-être créée sans être le reflet de sa culture, de sa culture totale, pluridisciplinaire.

C'est dans ce sens que j'ai mené plusieurs expériences sur scène prenant sève dans les plus anciens rites du Gabon, mêlant le mythe aux mîmes et la danse aux chants.

Quant à la musique, elle est transcendance et ne peut être exécutée sans engendrer le rythme envoûtant qui conduit à la danse. Des onomatopées aux incantations, des textes qui mènent jusqu'à la transe, la danse est intérieure.

On ne peut pas dire que cette danse n'obéit pas à une mise en scène parfois subtile, mais sans doute, il faut être soit initié, soit créateur pour comprendre que les gens ne sont pas là, ici uniquement pour danser.

Ces danses reprises par des chorégraphes contemporains sont redynamisées, revalorisées car nous ne devons pas vivre en autarcie.

Mais au moment même où je vous parle, où je vous fais ces évocations, il y a comme des voix qui montent des sources inaltérables, et qui dessinent dans mon imagination un spectacle immortel et fascinant.

Le théâtre, la musique et la danse sont des Arts engendrés par des réactions et des impulsions innées. Toutes les circonstances vécues sont rythmées par le chant, la danse et les mots qui définissent l'action théâtrale.

Ce comportement démontre le caractère typiquement créateur des Peuples africains, qui leurs a permis de ne pas sombrer dans l'acculturation.

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THEME 2 SUITE :

"DANSE, THEATRE OU MUSIQUE: LES ARTS ASSOCIES"

COMMUNICATION DE MADAME A. DARKOWSKA NIDZGORSKI (FRANCE)
INGENIEUR DE RECHERCHES, CENTRE D'ETUDES AFRICAINES E.H.S.S.- PARIS

"Mesdames et Messieurs, comme le thème l'indique, je ne parlerai pas uniquement de la Danse mais d'un domaine qui touche de très près et comprend la danse: c'est le théâtre de marionnettes qui est une forme extrêmement riche aussi bien sur les plans plastique, musical que rythmique.

Je voudrais dire qu'il existe un lien très archaïque entre marionnette et comédien en chair et en os, la marionnette et la danse, la marionnette et le masque. Longtemps les chercheurs se sont posés la question de savoir qui était le premier, des masques, des marionnettes ou des hommes.

Je pense que nous pouvons conclure aujourd'hui sans difficulté que tous ces phénomènes sont apparus en même temps.

En effet, on peut voir sur les gravures rupestres: les danseurs à visage découvert, les marionnettes (marotte) et enfin, les hommes masqués.Ces trois éléments se côtoient sur les gravures rupestres.

D'autres liens existent entre la marionnette et la danse comme par exemple dans les tombeaux de danseurs dans l'Egypte Antique où l'on retrouve des théâtres de marionnettes à fil.

Quant à l'Afrique, plusieurs chercheurs ont décrit les réjouissances de toutes sortes, même sacrées, où à côté de la danse, de la musique, du théâtre et des masques, on trouve aussi des marionnettes; ce sont donc des traces historiques de ce' phénomène en Afrique.

Mais il y a une source beaucoup plus profonde de la marionnette africaine: ce sont les mythes.

Par exemple au Nigeria, on pense que la marionnette vient du pays des morts, où un vivant serait descendu dans le pays souterrain de la mort ; il y aurait vu un spectacle de marionnettes qui était le passe-temps favori des morts et, une fois revenu parmi les vivants, il enseigna l'Art de la marionnette, et en mourut.

On constate donc cet aspect de sacrifice humain lors de l'apprentissage de cet art par l'humanité.

Chez les Bambaras, on parle d'un pêcheur Bozo enlevé par les génies de la brousse qui lui avaient appris l'Art de la marionnette. Revenu parmi les siens, le pêcheur s'est rendu chez un sculpteur à qui il demanda de sculpter d'un côté les marionnettes animaux, de l'autre les hommes.

Une autre version vient d'Afrique centrale, précisément du Congo, où il y est dit que la marionnette serait le cadeau d'une femme à un Chef: une inconnue est arrivée un jour chez un Chef et elle lui a tendu une marotte en bois "je te donne cette chose, ne le dis pas aux femmes".

Donc, d'une part, c'est une femme qui trahit le secret des femmes et, d'autre part, c'est l'homme qui, recevant ce secret, commence à le garder très jalousement, car ce type d'objet, comme vous le savez, est interdit à la femme en dehors des spectacles autorisés.

En effet, voir une marionnette en dehors de son jeu, signifie pour elle la stérilité, une maladie de la peau ou même la mort.

Jusqu'à présent cet interdit est très respecté; j'ai connu personnellement le cas d'une femme qui est morte après avoir vu une marionnette en dehors de son jeu, et, même si l'action psychologique a été forte, la personne est quand même décédée.

Un autre aspect de l'origine du mythe et du conte chez la marionnette se retrouve là où la statue devient vivante, mais ensuite retourne à son état premier d'argile, de bois, comme c'est le cas de Pinocchio en Italie.

Tout cela fait que la marionnette est très présente dans la recherche théâtrale jusqu'à présent.

Dans l'antiquité, nous avons l'exemple des fils de la marionnette qui étaient appelés muscles.

Actuellement, le metteur en scène d'avant garde J. GROTOWSKI aborde souvent dans ses cours la problématique de la marionnette et du corps.

A simple titre de curiosité, je relève que nous avons affaire aujourd'hui de plus en plus souvent à une marionnette de synthèse, ce qu'on appelle la marionnette virtuelle qui est créée et contrôlée par les ordinateurs.

En effet, on montre en Europe, dans de grandes manifestations tel Imagina, des marionnettes créées de toute pièce artificiellement qui apparaissent sur un écran, ou qui sont manipulées à partir d'ordinateurs qui les contrôlent entièrement.

Même si cela est intéressant, je trouve personnellement beaucoup plus attirant des formules que l'on retrouve dans certaines sociétés africaines comme celle dont je vais vous parler et qui représente pour moi comme une sorte de défi aux techniques dîtes modernes.

Il s'agit des Masques GUELEDE de Yorouba au Nigeria. Nous avons là des danseurs masqués, masques aux visages humains, sur lesquels se trouvent des petites plates-formes où se produisent des marionnettes. Ce sont des marionnettes simples comme un oiseau qui picore, une femme qui verse de l'eau ou un colon qui promène son chien.

C'est donc toujours le même geste qui est fait à partir d'une ficelle maniée par le danseur. Ce danseur anime son masque, et en même temps tire la ficelle qui fait bouger les marionnettes.

Dans une même configuration rythmique, plusieurs formes de mouvement se complètent et se manifestent à diverses échelles de l'espace et du temps.

La dynamique Guelredé est une complexité très rare dans le monde de l'animation qui a été étudiée d'une manière approfondie par Sally Jane NORMAN.

Dans l'état actuel de nos connaissances, on ne peut plus voir la marionnette comme une sorte d'opposition entre la matière inerte (les matériaux) et la matière vivante (l'homme ).

A travers les civilisations, les hommes ont toujours utilisé leur corps comme une marionnette. A ce sujet, je vous donne l'exemple du marionnettiste russe, aujourd'hui décédé, OBRAZTSOF qui utilisait ses propres membres comme marionnettes, ses doigts, sa tête... Il accordait une autonomie expressive à ces différentes parties de son corps qui s'animaient alors de leur propre vie.

La même chose existe dans les sociétés africaines. Je vais vous citer un cas qui concerne un rituel initiatique avec son aspect de mise à mort symbolique des initiés, étudié par André SCHAEFFNER, ethnomusicologue français, à qui je me réfère : "Dans le rituel d'initiation, les jeunes gens prennent souvent l'aspect des morts ou plus exactement des revenants. Ils reviennent parmi les vivants après un séjour dans un lieu secret où ils sont sensés avoir été mis à mort, puis avoir reçu une seconde naissance.

Ici dans la forêt guinéenne, comme chez d'autres populations d'Afrique, leur c orps est complètement blanchi et ces fantômes agissent tels des automates, des marionnettes. Leur démarche, leur moindre geste sont mécaniques; entièrement commandés par des formules tambourinées que frappent les Maîtres du rituel.

Là également, malgré la gravité de la cérémonie, satyre et bouffonnerie trouvent place ; mais l'hostilité se traduit, les marionnettes se détachent du cadre, et menaçantes, s'approchent des spectateurs qui reculent".

Cela m'amène vers le phénomène de la mort tout court, ou plutôt vers ce passage qui existe entre la vie et la mort où l'homme se quitte; son enveloppe charnelle reste et les vivants essayent de la faire revivre.

Ici, je dirais que le "marionnettiste" se situe entre cet espace qui va de la vie à la mort, et je voudrais citer quelques exemples dans ce domaine dont l'Afrique abonde. Vous avez d'abord l'exemple de ce que j'appelle "cadavre animé" : on trouve au Gabon des porteurs qui sont cachés par des raphias et qui portent sur leurs têtes un cadavre; celui-ci semble vivant car il bouge grâce à de ces hommes qui sont sous lui et qui parlent et vivent à sa place.

Deuxième exemple: le cadavre peut être maquillé, mis dans une position qui le fait sembler vivant, placé dans un lieu central et entouré de danseurs, comme en Centrafrique, autour duquel on effectue de grandes réjouissances, et lui-même y participe d'une certaine manière.

Il y a aussi l'exemple de manipulation du cadavre plus perfectionné, au Cameroun, où on brise ses articulations pour pouvoir bien le faire danser.

Vous avez encore une autre technique qui consiste à transformer le cadavre en grand mannequin; en général, pour des Chefs de renom: on fait un certain nombre de pratiques sur le corps, on le dessèche, on l'enveloppe de mètres et de mètres de tissus. Il devient alors un grand mannequin de deux ou trois mètres de hauteur avec un visage très réaliste. Il est alors porté par quatre porteurs, et danse à son propre enterrement pour enfin "sauter lui-même" dans sa tombe.

Vous avez enfin un cas qui peut intéresser ceux qui travaillent avec leur corps, comme par exemple les danseurs.

Dans certaines sociétés au Zaïre, quand on sent la mort d'une personne importante venir, on prépare quelqu'un d'autre qui doit le remplacer. On le prépare même dans le sens physique en l'obligeant à prendre certains aspects physiques de celui qui va mourir; c'est donc un double parfait qui est préparé et qui va vivre normalef11ent dans la société après la mort du personnage. Il imite, on peut même dire qu'il incarne cette personne qui vient de décéder.

On peut dire à travers ces exemples que le marionnettiste apparaît comme une sorte d'intermédiaire entre l'au-delà et ici bas.

Voici maintenant quelques mots sur les marionnettes danseuses' En effet, beaucoup de marionnettes accompagnent les danseurs et les musiciens dans les pays d'Afrique, et il est fréquent de voir des musiciens danseurs qui se baladent dans les rues avec un instrument auquel ils accrochent une marionnette qui bouge au gré de leurs mouvements.

Il y a aussi le cas des marionnettes de danseurs : plusieurs danseurs possèdent des marionnettes qu'ils animent directement attachées à leur corps provoquant un effet plastique mais aussi magique.

vais vous parler et qui représente pour moi comme une sorte de défi aux techniques dîtes modernes. Il s'agit des Masques GUELEDE de Yorouba au Nigeria. Nous avons là des danseurs masqués, masques aux visages humains, sur lesquels se trouvent des petites plates-formes où se produisent des marionnettes. Ce sont des marionnettes simples comme un oiseau qui picore, une femme qui verse de l'eau ou un colon qui promène son chien.

C'est donc toujours le même geste qui est fait à partir d'une ficelle maniée par le danseur. Ce danseur anime son masque, et en même temps tire la ficelle qui fait bouger les marionnettes.

Dans une même configuration rythmique, plusieurs formes de mouvement se complètent et se manifestent à diverses échelles de l'espace et du temps.

La dynamique Guelredé est une complexité très rare dans le monde de l'animation qui a été étudiée d'une manière approfondie par Sally Jane NORMAN.

Dans l'état actuel de nos connaissances, on ne peut plus voir la marionnette comme une sorte d'opposition entre la matière inerte (les matériaux) et la matière vivante (l'homme).

A travers les civilisations, les hommes ont toujours utilisé leur corps comme une marionnette. A ce sujet, je vous donne l'exemple du marionnettiste russe, aujourd'hui décédé, OBRAZTSOF qui utilisait ses propres membres comme marionnettes, ses doigts, sa tête... Il accordait une autonomie expressive à ces différentes parties de son corps qui s'animaient alors de leur propre vie.

La même chose existe dans les sociétés africaines. Je vais vous citer un cas qui concerne un rituel initiatique avec son aspect de mise à mort symbolique des initiés, étudié par André SCHAEFFNER, ethnomusicologue français, à qui je me réfère : "Dans le rituel d'initiation, les jeunes gens prennent souvent l'aspect des morts ou plus exactement des revenants. Ils reviennent parmi les vivants après un séjour dans un lieu secret où ils sont sensés avoir été mis à mort, puis avoir reçu une seconde naissance.

Ici dans la forêt guinéenne, comme chez d'autres populations d'Afrique, leur corps est complètement blanchi et ces fantômes agissent tels des automates, des marionnettes. Leur démarche, leur moindre geste sont mécaniques; entièrement commandés par des formules tambourinées que frappent les Maîtres du rituel.

Là également, malgré la gravité de la cérémonie, satyre et bouffonnerie trouvent place ; mais l'hostilité se traduit, les marionnettes se détachent du cadre, et menaçantes, s'approchent des spectateurs qui reculent".

D'autres les placent sur leur dos, et évoluent de manière à ce que l'on voit d'un côté le danseur et de l'autre la marionnette qui prend part à la danse.

Il y a encore des marionnettes qui sont la propriété d'institutions de danse comme en Afrique de l'Est et de l'Ouest. Ce sont des marionnettes qui appartiennent aux danseurs et qu'ils peuvent animer eux-mêmes ou bien prêter aux villageois pour leurs fêtes.

Enfin, il y a des marionnettes qui sont des portraits de danseurs, sortes d'hommage que la marionnette rend à son interprète.

Je voudrais aussi rappeler que beaucoup de spectacles de marionnettes recèlent des danses très anciennes qu'elles reproduisent très fidèlement. Je considère donc que le théâtre de marionnettes est aussi une sorte de conservatoire de la danse car on y retrouve des danses qui ne sont déjà plus pratiquées.

La morphologie de la marionnette africaine est différente de celle de l'Occident. Le bassin est plus mobile, il suffit de l'animer pour qu'elle commence à danser comme un mouvement rattrapé au vol.

Le dernier exemple que je vous donnerai concerne un spectacle Haoussa où, après la quatrième scène du spectacle, le marionnettiste sort de sa petite tente, suivi de ses accompagnateurs, pour entamer une danse qu'ils font dans un cercle, mouvements très anciens, sorte de rituel. C'est comme un appel magique vers le monde de la marionnette. Je vous rappelle que cette forme de cercle est un espace sacré au centre duquel la personne qui s'y trouve est un prêtre: ici c'est le marionnettiste justement dans ses fonctions d'intermédiaire entre l'au-delà et ici-bas.

En conclusion, et puisque le thème que nous traitons est: "de la tradition orale à la scène", je voudrais signaler que tout l'Art de la marionnette est transmis jusqu'à maintenant oralement en Afrique; même si certains peuvent noter chez eux une pièce, le vrai apprentissage se fait toujours à partir de texte oral.

Comme dernière observation, je vous ferais part de mon admiration devant des marionnettistes qui n'avaient jamais quitté leur village et qui, à l'occasion de tournées, n'étaient jamais gênés sur une scène, la plus perfectionnée soit elle. Ils ont toujours su occuper l'espace, supporter la lumière et toutes les contraintes techniques, sachant, sur les planches transmettre au public le même engouement naturel que dans leur village.

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THEME 2 SUITE

"DANSE, THEATRE OU MUSIQUE: LES ARTS ASSOCIES"

COMMUNICATION DE MONSIEUR HASSAN KABEYA (ZAIRE)
DIRECTEUR GENERAL DU CENTRE AFRICAIN DES ARTS ET CULTURE LIBREVILLE

"... Mesdames et Messieurs, compte tenu de la qualité des communications des experts qui m'ont précédé, je modifierai la structure de mon propos pour ne pas revenir sur ce qui a déjà été dit.

J'aborderai donc le thème du colloque De la Tradition Orale à la Scène sous un autre angle; en effet, je considère le passage de cette tradition orale à la scène comme une remise en question de l'Enseignement Traditionnel en Afrique.

Sur quoi repose donc cette tradition orale ? Chez les Fangs par exemple, on l'appelait "Ekôm sola". Sa représentation au niveau éducatif consistait à passer d'étapes en étapes qui pouvaient aller jusqu'à monter au sommet de l'arbre où se trouvaient des fourmis magnant.

Cette tradition était orale, jamais écrite, et la personne formée dans cette tradition orale, que j'appelle système d'enseignement traditionnel, était complète, en possession de moyens très efficaces pour affronter la vie.

Ce système de tradition orale se caractérisait en trois points. Premièrement il se basait sur un savoir profondément authentique qu'il fallait transmettre quelles que soient les étapes à franchir. Deuxième caractéristique, ce système d'enseignement traditionnel comportait une éducation en profondeur qui se divise en deux aspects : la mémorisation et le raisonnement approfondi sur cet enseignement reçu.

Enfin, comme troisième caractéristique, il s'agissait de tenir compte de la référence aux modèles du passé On devait amener l'homme à se poser la question: qui était son ancêtre et que faisait-il ? Et cette recherche sur les modèles du passé lui apportait des indications sur son devenir, plus précisément, sur les comportements à adopter dans son avenir.

Donc en ce qui nous concerne ici, quand on parle aujourd'hui de l'évolution de tout cet enseignement vers une expression sur la Scène, c'est tout un système que nous remettons en question. Que ce soit sous forme de Théâtre ou de Danse, il y a un savoir à préserver.

Tout à l'heure, le Professeur Binet nous a parlé de plusieurs scénettes qui, à première vue, semblaient être du théâtre mais qui dans le fond s'adressaient à plusieurs niveaux de connaissance et de savoir.

En effet, quand on n'est pas initié, et qu'on n'est pas passé par cette école, on a l'impression d'assister à une simple scène théâtrale.

En ce qui concerne la danse, on ne voit qu'un corps en mouvement accompagné d'un son et d'un ou plusieurs instruments de musique. Et la première impression qu'on a c'est un étonnement quant aux causes et motivations qui l'animent.

Je vais vous prendre un exemple que l'on rencontre souvent ici à Libreville dans les bars: vous y voyez un homme à demi assoupi, qui semble méditer, et qui, au son d'une certaine musique, se lève pour effectuer toute une série de pas de danse; car effectivement, la danse, plus que le théâtre, est une science infuse où le corps réagit à tel son ou à telle musique particulière.

Je voudrais maintenant aborder les distinctions qui peuvent être faites dans la danse traditionnelle, folklorique, classique, moderne ou contemporaine.

A cet effet, je pense que l'exemple du dernier disque de Pierre Claver AKENDENGUE (Lambaréna) est un bon témoignage sur la confrontation des genres, puisqu'on trouve dans les mêmes morceaux: Mozart, Chants pygmées, Bach, Balafons, Chants traditionnels. . .

Doit-on appeler cela musique moderne, musique contemporaine ou musique classique Pour moi tout ce qui est contemporain, c'est ce qui est métissé; nous sommes au carrefour des rencontres des cultures qui sont interdépendantes les unes des autres.

D'une manière générale, je ne vous citerai pas toutes les oeuvres des vedettes gabonaises dont le contenu passe par le métissage, par la rencontre des cultures.

Ce que j'ai voulu apporter de plus à ce qui a déjà été dit, c'est une mise en garde sur les conséquences de la transposition qui s'opère inéluctablement, et pour ne pas perdre l'identité culturelle qui nous est propre.

Vivre ensemble dans la différence doit être possible en notre temps, sans perdre pour autant les différentes vertus qui faisaient que ce que nous appelons aujourd'hui Arts de la Scène nous servaient jusqu'à présent aussi bien de thérapie au quotidien, de lien historique avec le passé, que de concrétisation de phénomènes surnaturels au moyen de la danse et de la musique.

En dernier lieu, il se pose aussi le problème d'adaptation de décor et de costume. Effectivement, les reconstitutions d'époques caractérisent le théâtre occidental ; mais quand il s'agit de transposer notre enseignement traditionnel sur scène, peut-on ou doit-on garder les mêmes matériaux qui sont ceux que nous utilisons dans leur cadre d'origine ?

De trop grandes transformations ne feraient-elles pas que dans vingt ans, nos enfants ne puissent rien retrouver sur ce qui est le fondement même de notre culture ?

Le fait est que ces transformations sont inéluctables, mais l'objet même de ce Colloque est de définir les voies et moyens qui nous permettront de contrôler cette évolution.

Et ce contrôle, comme j'ai essayé de vous le suggérer, passe par l'adaptation de l'Enseignement Traditionnel aux réalités modernes. Le passage de la Tradition à la Scène n'en sera que plus accessible.

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THEME 2 SUITE

DANSE, THEATRE OU MUSIQUE, LES ARTS ASSOCIES

COMMUNICATION DE MADAME Françoise GRUND (FRANCE)
DIRECTRICE ARTISTIQUE DES MAISONS DES CUL TURES DU MONDE - PARIS

Mesdames et Messieurs; ma communication porte le titre de "Ethnoscénologie, une discipline nouvelle pour aborder les problèmes du rituel et de ses évolutions possibles".

Il s'agit d'un mot nouveau recouvrant une discipline nouvelle et dont le but consiste à aborder les différentes formes de l'expression humaine, avec un regard nouveau lui aussi.

En effet, la Maison des Cultures du monde à Paris et son directeur Chérif KHAZNADAR, l'Université de Paris VIII et le directeur du laboratoire de Recherche Interdisciplinaire des Pratiques Spectaculaires Jean-Marie PRADIER, viennent de joindre leurs forces pour créer un nouveau champ d'action. le Centre International d'Ethnoscénologie

L'ethnoscénologie, c'est la création d'une discipline proposée au monde entier par une entreprise culturelle orientée vers la recherche et la diffusion d'expressions de tous les peuples (par des spectacles, des concerts, des ateliers, des expositions, une revue trimestrielle, Internationale de l'Imaginaire et une collection de disques: INEDIT), ainsi qu'un laboratoire spécialisé dans l'étude des pratiques spectaculaires humaines : (la musique, la danse, le théâtre, les jeux masqués, les marionnettes, les ombres, les rituels, les repas cérémoniels, les maquillages rituels, les traçages de graphismes codés etc.:..).

Les buts de cette discipline nouvelle (qui englobe l'anthropologie du théâtre, l'ethnologie, la musicologie, la sociologie) sont divers.

Premièrement, c'est proposer un autre regard pour apprécier l'immense diversité de l'expression humaine, menacée, aujourd'hui, par le danger de massification.

Les mots ambigus d"universalité" et de "métissage" font aujourd'hui reculer l'objectivité du comportement des observateurs, car, il est cer1ain que l'universalité des cultures se fera au détriment des plus faibles, les nouvelles technologies privilégiant nécessairement les cultures les plus fortes. Or, l'ethnoscénologie va vers la défense de la plus grande diversité. Elle propose la vision et l'étude des formes sans aucun souci d'échelle de valeur ou de hiérarchie et sans aucune exclusion. Jean MALAURIE disait: "II faut défendre les formes spectaculaires qui ne sont pas rapportées dans les textes".

Deuxièmement, deuxième but de l'ethnoscénologie : forger un concept, une notion, une méthode et rassembler ce qui est éparpillé. Faire de l'exploration et publier sans relâche inventaires et résultats de recherches. Inciter les étudiants à présenter des thèses de doctorat en ethnoscénologie - Université de Paris VIII -. Enfin, constituer un réseau international de chercheurs, et je suis contente d'être ici pour vous faire cette proposition très concrète.

Troisième but: revendiquer le néologisme d'ethnoscénologie en français comme dans toutes les langues ( c'est un problème d'invention d'un terme sur lequel il faut désormais se pencher avec sérieux) parce que les limites de notre monde sont aussi les limites de notre langue.

C'est pourquoi, bientôt, des formes de spectacles - et pour ne citer que quelques exemples concernant seulement l'Afrique - aussi différentes que: le Tchiloli et le Danço Kongo de Sao Tomé, l'Autoda Floripes de Principe, le Bwiti au Gabon, le Bobongo des femmes ekonda, la Danse Nioko ou du serpent chez les Balouba du Kasaï, au Zaïre, la Cérémonie du Tipoye des Bakongo au Congo, la Danse des fous au pays de Man, la Danse du couteau des fillettes de Zouan Hounien, la Danse des percussionnistes des Baoulé en Côte d'Ivoire...( et nous en avons tellement d'autres aussi intéressantes )... toutes ces formes de spectacles pourraient être systématiquement explorés par une équipe de chercheurs locaux et étrangers qui en établiront un relevé ainsi qu'une analyse structurelle.

Il est important que dans chaque pays désormais, et les hommes de terrain ; musiciens, danseurs, féticheurs, facteurs de masques, facteurs de marionnettes, etc. . . et les universitaires, et les représentants des pouvoirs publics, dans chaque région, dans chaque village, puissent établir une fructueuse collaboration.

Il va sans dire que ce travail commun ne saurait s'accomplir dans le but d'une rentabilité immédiate (comme l'organisation d'une fête locale à grand retentissement, ou la perspective d'une invitation dans un théâtre ou dans une institution à l'extérieur du pays...). cet objectif à court terme ne ferait que nuire à la forme en question et à la nouvelle notion d'ethnoscénologie.

Au contraire, tous ensemble et dans chaque secteur, ils devraient s'exhorter à se poser mutuellement un certain nombre de questions. Il est bien certain que chaque situation, chaque forme de rituel ou de danse cérémonielle en Afrique, soulève un problème particulier

Néanmoins, étant donné la frénésie de nivelage culturel dans laquelle se sont jetés les Occidentaux et, à leur suite, certains Africains; tout ceci conduit à une fragilisation des expressions.

Le rituel X ou la danse Y, actuellement, dans mon village, qui comporte l'électricité, l'eau courante, un médecin et une école, conserve-t-il (elle) ses fonctions ?

Les fonctions et l'efficacité du rituel X ou de la danse y sont de quel type ? Spirituel, mystique, social, thérapeutique ?
Quelle catégorie de population, dans le village, se sent concernée par une des fonctions du rituel X ou de la danse y ? Les vieillards, les hommes, les femmes, les actifs, les adolescents, les enfants, les malades, les exclus ?

Au cours des vingt dernières années, le village a-t-il subi des modifications, voire des bouleversements sociaux ou autres: guerres, invasion, exode, épidémie, nouvelle politique, changement des lois de l'héritage (par exemple, passage des donations matrilinéaires au cadre patrilinéaire), arrivée de missionnaires extérieurs de toutes sortes, évangélisation ou entreprise de prosélytisme brutale ou insidieuse, renoncement forcé ou brusque à des valeurs ancestrales, établissement d'une taxe ou d'un impôt, établissement de nouvelles fêtes nationales, nouvelle politique familiale, remise en question de la médecine traditionnelle, remise en question de l'existence des ritualistes etc...).

Ces modifications récentes ont-elles entraîné une modification du rituel X ou de la danse Y: changements des dates d'exécution, "édulcoration" de certains gestes sous l'impulsion de nouveaux moralistes, privation de certains accessoires, suppression des chefs ritualistes ou des maîtres de danse, possesseurs, en général de "pouvoirs" ésotériques, utilisation de la danse ou de certaines parties du rituel dites "spectaculaires" pour l'insertion dans un groupe folklorique national, dénaturation du rituel ou de la danse transformé( e ) en une présentation folklorique, suppression pure et simple du rituel ou de la danse.

Dans le cas où les maîtres ont disparu, ou sont sur le point de disparaître (grande vieillesse, manque de mobilité, maladie, invalidité), la communauté ou la microsociété, prévoit-elle de faire venir d'autres maîtres de régions voisines ?

Dans le cas où la communauté a été approchée par des gens de l'extérieur (missionnaires, coopérants, techniciens, experts en mission, peuple voisin réfugié ou de passage...), le rituel X ou la danse y ont-ils été "contaminés" ? La "contamination" a-t-elle revêtu un aspect positif ou négatif ?

Cette question reste la plus délicate de toute l'ethnoscénologie. En effet, pour pouvoir trancher et décider que tel effet est bénéfique et tel autre mutilant, il faut plusieurs facteurs.

D'abord, du temps, ensuite une évaluation renouvelée de l'efficacité du rituel ou de la danse sur plusieurs catégories de la population, de la microsociété, un regard extérieur, une possibilité de comparaison avec les formes similaires anciennes et les formes parfois approchantes des peuples voisins, une objectivité artistique et scientifique de l'observateur, qu'il appartienne au milieu endogène ou vienne du dehors.

Et c'est souvent là qu'intervient 1"'animateur" -nom préférable à celui de créateur de génie- ou le petit groupe perspicace de paysans, de chasseurs ou d'ouvriers des mines comme à Soweto en Afrique du Sud, initiateurs de la Boots dance.

Il est vrai que le processus d'élaboration du rituel X ou de la danse y qui s'est fait dans le passé et qui continue à se forger dans le présent grâce à l'accumulation et à la fusion de multiples petits éléments provenant d'individus ayant eu un jour une idée qui a été adoptée par le groupe. Les formes n'ont cessé de se modifier. Les peuples d'Afrique se sont toujours beaucoup déplacés dans l'histoire et au cours des dominations diverses, il s'est trouvé qu'une symbiose s'est établie entre la culture du dominé et la culture du dominant, pour un moment.

En revanche, il faut craindre les systématismes occasionnels du monde contemporain et surtout du milieu urbain. Le microcosme urbain plie sous le joug du commercial et de la rentabilité. Et les arrangeurs du traditionnel "rénové" vont vite en besogne pour mettre en place, dans des délais records, une forme de musique-dance "présentable" sur les scènes internationales, en pillant la plupart du temps les ritualistes et artistes de leur pays et en accommodant le larcin à la sauce des technologies nouvelles.

C'est l'essaimage de ce terme de "métissage" qui en est la cause là plupart du temps. Presque toujours, cet esprit de métissage contribue à appauvrir la forme traditionnelle comme la forme extérieure contemporaine.

C'est là où l'ethnoscénologie va constituer un appui de taille. Pour tous les peuples de l'Afrique, ce qui est important aujourd'hui, c'est de ne pas se faire déposséder. Pour cela, il suffira, grâce à l'ethnoscénologie, qui diffusera des revues et formera des professeurs dans toutes les universités du monde ( c'est un vœu pieux) qui favorisera l'échange des maîtres, de jeter un regard vers l'extérieur, et pas dans une seule direction, dans toutes les directions.

Toutes les cultures sont en danger, et il faut faire de la lutte pour leur sauvegarde un argument toujours présent. Il s'agit moins d'argent que de prise de conscience, à la fois du danseur de village, comme du responsable politique.

L'Afrique, pour les peuples du monde fascine par la force et la beauté de ses expressions dansées, musicales et rituelles. Ces formes, si elles sont peu connues de l'extérieur, constituent un trésor caché qui sera révélé, valorisé, reconnu et donc vivifié grâce à l'étude systématique et comparative que propose l'ethnoscénologie ; et c'est avant tout aux Africains de veiller sur leur trésor.

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THEME 2 SUITE

"DANSE, THEATRE OU MUSIQUE: LES ARTS ASSOCIES"

COMMUNICATION DE MONSIEUR Ayaminé ANGUILLET (GABON)
CHERCHEUR, PROFESSEUR A L'UNIVERSITE OMAR BONGO LIBREVILLE

"... Je voudrais vous parler de la danse, non pas en tant que spécialiste de la Scène ou des Arts du spectacle mais dans une vision qui, je l'espère, sera beaucoup plus anthropologique.

J'ai intitulé ma communication "la Danse, un Art au Pluriel". Elle va s'articuler autour de la parole de tous les différents registres de la danse, autour de la tenue et autour de l'espace ou des espaces; enfin j'essayerai de faire rapidement allusion aux Arts Plastiques, et je prendrai les danses Mekôm, Essana et Ivanga pour illustrer mon propos.

Pourquoi situer le point de départ par la parole: nous savons que toutes les civilisations africaines, les cultures africaines, et leur mode d'être sont essentiellement oral ; d'où le thème du Colloque.

La réflexion que j'ai menée autour de la parole m'a amené à une conclusion que d'autres ont tiré certainement avant moi: quand on parle de tradition orale, on parle de1a parole, mais d'une parole codifiée.

Ainsi, la tradition orale se présenterait comme une structure fondamentale de la parole, et cette tradition orale va être aussi diversifiée que l'expérience qu'elle rend.

En effet, les sociétés que j'appelle "civilisations de la parole" ont une expression juridique, religieuse, etc.. qui s'exprime par la parole. Cette parole va prendre diverses formes, soit la forme de contes, de fables, de devinettes, d'épopées, de chants, de musiques, de rites mais également de danses.

Dans le cas d'espèce, la danse se révèle être une forme particulière, une structure particulière de la parole, qui codifie la parole ; elle se trouve donc en même temps parole et geste, le geste étant dans nos sociétés également une parole.

Dans cette structure la danse est diversifiée, et sans être trop rigoureux, on peut en dresser une typologie : Au Gabon, pour ne prendre que cet exemple, dans toutes les ethnies, on danse pour des activités économiques, on danse pour l'amour et aussi pour la mort.

Il ya des danses que l'on appellera profanes, profanes dans le sens où le sacré a déjà perdu de sa force; effectivement lorsque le sacré devient obsolète, on tombe dans le profane.

D'autre part, celles qui nous intéressent ici et que j'appellerai les danses sacrées, sont essentiellement de deux ordres, permettant le contact entre l'homme et le cosmos.

Dans ces danses, on distingue les danses thérapeutiques et les danses d'initiation, les deux renvoyant toujours à un rapport cosmo-humain.

Au niveau de cette danse, de cette danse sacrée, interviennent la tenue et le corps. La préparation du danseur, c'est ce qu'il va porter ou bien ce qu'il ne va pas porter, car il faut se rappeler qu'en Afrique, le manque de tenue est déjà une tenue de danse, dans des situations particulières.

Comme illustration, je me référerai à la danse Essana (chez les Fangs) qui, en évoluant, arrive à un stade qu'on appelle Afône et qui consiste en ce que le danseur principal, lors de la dernière danse qui clôture la cérémonie, enlève tous ses habits et se met à danser nu, bravant tous les autres tabous qui pouvaient exister.

Cette pratique existe en bien d'autres lieux et je ne citerai que la Bible, où est décrit le Roi David, en extase, dansant nu devant ses serviteurs.

L'autre aspect de la tenue est que, de façon générale dans les danses classiques, car je considère les danses traditionnelles comme les danses classiques africaines, le corps est vêtu de vêtements qui sont faits de fibres de peaux, de plumes, avec les maquillages composés de fards, huiles, onguents, poudres...

Tout cela constitue un costume qui a une signification par rapport au spectacle présenté car, une jeune femme aux seins nus badigeonnés d'huile de palme rouge dans une atmosphère clair-obscur, avec des reflets de torches de résine d'Okoumé par, exemple, offre un spectacle autrement féerique que celui donné par des projecteurs.

Rappelons nous donc que les éléments qui servent aux tenues ne sont pas des éléments gratuits, car dans les danses initiatiques et thérapeutiques, c'est la rencontre entre l'au-delà et ici bas qui est visée, bien que ces deux aspects ne soient pas antinomiques, et comme je vous le disais ce matin, nous passons du profane au sacré sans transition par les éléments constitutifs de la personne humaine.

La tenue nous amène directement à parler du corps, et je dirais que de tous les Arts, le corps est le premier espace et la matière première fondamentale.

En effet, le premier espace dans lequel évolue le danseur est son propre corps; le corps est un espace qui est organisé avant la danse par: l'abstinence sexuelle, une diététique appropriée, les ablutions, les maquillages ... tout élément qui vise à soulager des lourdeurs ontologiques le corps humain, pour réveiller le spirituel, les éléments subtils.

Tous les accessoires végétaux, animaux ou même minéraux tels les plumes, les peaux, etc… vont avoir des positions spécifiques qui déterminent une hiérarchie dans le parangon spécifique des initiés: c'est ce qui nous a amené à parler du corps en terme d'espace.

Cet espace corps va évoluer dans un espace géographique qui, concernant ici la danse, aura un contenu anthropologique.

Le contenu anthropologique de l'espace concerne l'aire de la danse dans lequel on ne rentre, ni ne se place n'importe comment; l'aire de danse est occupée dans un ordre bien déterminé: les musiciens ont leurs places, les initiés, les non initiés, le public ... ont les leurs.

Je résumerai cet espace en disant que, tout espace organisé en Afrique et singulièrement au Gabon, est à l'image du corps. Toute démarche se référant à des connaissances en vise de nouvelles et toute démarche initiatique est un parcours sur soi-même...

Et maintenant, pour revenir sommairement sur le thème de mon prédécesseur, qui est l'introduction des marionnettes et du masque dans la danse, je citerai ce dicton qui dit qu'en Afrique le danseur qui porte un masque n'est pas un homme, parce que le masque tue en même temps qu'il donne la vie.

Donc pour que vous soyez en mesure de porter un masque, il faudrait que vous participiez aux principes fondamentaux qui en régissent le mode de connaissance; car le masque est un produit de la connaissance en même temps qu'il en constitue une structure: c'est un peu comme un objet magique dans les contes.

A ce niveau, le masque est porté non pas par un homme mais par un esprit. Il ne faut pas le voir ici en tant qu'élément matériel, mais comme une charge énergétique qui abolit l'homme. Celui qui porte le masque n'est plus un homme; il a intégré et intériorisé les éléments fondamentaux qui font du masque un objet magique, un objet de puissance.

Nous avons aussi l'exemple de la danse Mekôm déjà présentée ici par le Professeur NANG EYI et qui évolue aussi bien dans l'espace et dans le temps.

Cette danse est hiérarchisée en cinq étapes fondamentales qui montent en échelle de valeur, et dont la plus grande, c'est-à-dire Akôm, renvoie à un univers initiatique, ésotérique.

En conclusion, je vous parlerai d'Ivanga, une danse de femmes chez les Omiénés et qui permet à la femme de s'affirmer, justement de se libérer.

Elle pourrait même être définie comme une Constitution, au sens politique du terme, qui est un idéal de société. En tant qu'idéal de société, c'est donc quand tout est conforme à l'Ivanga que tout va bien.

Or l'Ivanga produit dans une société matrilinéaire renvoie à toutes les configurations d'autorité et de pouvoir au sein d'un régime matriarcal; mais, n'ayant pas fondamentalement un pouvoir centralisé.

Je fais appel à l'Ivanga pour montrer la multiplicité de la danse, qui ne peut pas être définie comme on le ferait d'un dénominateur commun; en effet, dans la danse, il y a des moments où l'aspect musique prédomine, puis, c'est le chant qui prédomine, le geste...

Donc, pour nous, la danse est un Ari pluriel, et dans le sens de l'Ivanga, elle nous démontre que le droit procède des hommes mais également des Génies. Il y a donc deux aspects fondamentaux de droit dans les sociétés africaines, qui sont ici mimées.

L'lvanga met en scène des préoccupations d'ordre juridique mais encore montre la matérialisation d'un mythe qui a été révélé par le rêve à un Chef, qui l'a formalisé dans Ivanga. Ici le mythe d'origine est joué sur scène.

C'est pour cette raison que nous ne pensons pas devoir considérer la danse comme un élément unidimensionnel, tout y est codé. Si un animal y est représenté, c'est que l'homme a capté ses principes actifs, ses sens dynamiques, connaît les lois de fonctionnement qui le régissent, et cela nous renvoie non pas seulement à la cosmogonie, mais également à la cosmologie dans la mesure où est posé le problème de l'interaction des relations de cause à effet et d'analogie de l'homme quand il rentre en contact avec la nature.

Il le fait de deux manières : ce que j'appelle le rapport endocentrique et le rapport excentrique, ou le rapport homogène et le rapport hétérogène.

Dans ce sens, l'Ivanga se dansait après les guerres ou après chaque catastrophe naturelle telles que les épidémies ou les inondations . . . pour purifier, pour tout oublier.

Elle consiste donc à réparer le désordre, reconstituer ce qui a été bouleversé par le chaos, et réaménager l'univers; Univers qui nous renvoie nécessairement à un rapport où l'énergie est au centre et où la préoccupation essentielle de l'homme est sa quête perpétuelle de la connaissance.

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THEME3

"DE LA DANSE TRADITIONNELLE A LA CREATION CONTEMPORAINE AFRICAINE"

COMMUNICA TION DE MADAME Germaine ACOGNY (SENEGAL)
DANSEUSE, CHOREGRAPHE

"Le développement ressemble à une toile d'araignée, sans contour, tissée avec une multitude de fils enchevêtrés. Mais c'est la culture qui lui donne sa couleur, sa texture} sa trame, sa souplesse, sa résistance", a dit Alberto RIO SZALAY.

L'Afrique doit investir dans la culture, cet élément unificateur, pour retrouver son identité et l'affirmer au monde entier.

Dans les années 50, KEITA FODEBA (Guinée) a montré les valeurs et la beauté de la danse africaine traditionnelle adaptée à la scène. Son ballet, composé de danseurs originaire de plusieurs pays d'Afrique, a ému par sa capacité de dégager et de transmettre l'essentiel de la danse africaine.

Il ne faut pas oublier non plus le comédien de talent, Maurice SONAR SENGHOR, directeur du Théâtre National Daniel Sorano, qui lui aussi, a contribué à faire connaître les ballets nationaux du Sénégal.

Des ballets nationaux ont été créés à l'avènement de l'indépendance dans les pays africains (Mali, Congo, Zaïre etc.), désireux de promouvoir leur culture. Ils ont parcouru avec succès le monde entier et continuent toujours de se produire.

Mais les acteurs de la danse africaine d'hier ne doivent pas se laisser enfermer dans son image de "musée", manquant de dynamisme et facilement stéréotypée. Certes, il est essentiel de se sentir participer de la Grande Tradition mais nous avons le devoir, à présent, de continuer l'oeuvre de nos aînés

Dans les années 60, SOULEYMANE et CISSE ont commencé à rassembler de jeunes étudiants africains à Paris pour en former un ballet. Nous jugeons aujourd'hui de son évolution qui s'achemine vers la danse contemporaine.

Dans les années 70, les scènes de la vie quotidienne ont inspiré la comédie musicale de Souleymane KOL Y, laquelle a remporté un succès retentissant et réel auprès d'un public international.

Et aujourd'hui, Marie-Rose GUIRO (Côte d'Ivoire), Flora THEFAINE (Togo), Elsa WOLLIASTON (Etats-Unis), Germaine ACOGNY (Sénégal), KOFFI KOKO (Bénin) et la jeune génération, Irène TASSEMBEDO (Burkina Faso), Fred BENDONGUE (Cameroun-France), Georges MOMBOYE (Côte d'Ivoire), pour ne citer que ceux-là, prennent le relais et inscrivent leur travail dans la voie de la Danse Africaine des temps modernes.

De la Tradition à la Création Contemporaine. Nous devons affirmer et enrichir ce savoir que nous ont laissé nos ancêtres, et le transmettre à nos descendants.

Il convient au préalable de nous entendre sur le vocabulaire. A l'heure actuelle, il persiste en Afrique un malentendu qui fait assimiler la danse contemporaine aux MBalakh, Soukouss et Zouk, danses mondaines de divertissement. Ce phénomène sème la confusion en ce qui concerne la compréhension et l'interprétation de la chorégraphie africaine.

La vraie danse africaine évolue en parallèle avec la danse occidentale qui, en Europe et tout particulièrement en France, est née en réaction contre la danse classique et son système codifié, pour libérer la gestuelle d'aujourd'hui.

La danse contemporaine africaine est une réaction contre la danse "musée", figée dans le passé et coupée des énergies vitales qui ne cessent de se renouveler.

C'est une danse évolutive qui, tout en restant solidement ancrée dans la tradition, s'ouvre à une constante transformation des formes artistiques.

Il faut donc rectifier les malentendus et former les futures générations de danseurs à la vraie danse africaine, authentique et vivante.

Les danses africaines sont nombreuses et différentes selon leur contexte géographique et socioculturel d'origine.

Tout en préservant nos Spécificités respectives, afin d'éviter l'uniformité et donc l'appauvrissement de notre patrimoine chorégraphique, nous nous devons de reconnaître nos points de convergence.

La base commune de toutes les danses africaines réside dans un perpétuel dialogue avec le Cosmos, le seul ordre établi. Sans être emprisonnée par le carcan des gestes figés, la danse africaine obéit cependant à des règles bien précises. Elle reste en étroite relation avec la terre et le ciel, implique le respect du corps et la joie de vivre le mouvement, et surtout, mène un permanent dialogue avec le rythme, élément vital de toute chose.

La force, la beauté et une énergie qui régénère participent de l'essence de la danse africaine.

La danse africaine, c'est la Vie. C'est une richesse unique au monde et bien de chez nous. Il est nécessaire de lui donner des moyens et la sortir de son ghetto; elle se mettra au service de nos pays et deviendra l'ambassadrice de l'Afrique dans le monde entier.

La danse canalise l'énergie vers l'accomplissement des buts nobles, elle enseigne la discipline et le respect de soi. Enseignons la danse dans les écoles et elle contribuera à la santé physique et morale de nos enfants, les aidant à mieux appréhender leur intégrité culturelle.

Dotons nos Maisons de la Culture des structures d'enseignement de danse qui permettront à leur public de trouver une source d'inspiration et d'épanouissement personnel.

Créons des compagnies de danse contemporaine, lieu de formation et de création de notre jeunesse.

Enfin, la danse est aussi une forme de thérapie qui soulagera les malades et sera également pourvoyeuse d'emploi dans les institutions hospitalières.

J'invite les gouvernements des pays africains à réfléchir à la mise en place effective des structures d'accueil qui permettent aux futures générations de danseurs de se rendre utiles et de travailler dans leur pays d'origine.

Le Cameroun est connu mondialement grâce à la brillante prestation de son équipe de football, sport d'exportation. Sans vouloir mettre en cause le financement des sports collectifs, je remarque simplement que la danse africaine fait partie de notre identité culturelle à nous tous, et qu'elle manque cruellement de moyens. Cependant, elle mérite bien qu'on lui consacre un tiers du budget destiné au football. Cet argent, il faut le trouver car nous sommes confrontés à une situation d'urgence et nous devons de trouver des solutions concrètes.

Les institutions internationales se montrent prêtes à subventionner des opérations d'éclat et s'intéressent moins aux actions de formation, pourtant de première importance.

Des colloques, comme celui-ci, doivent déboucher sur des résultats tangibles et durables. Par conséquent, il nous revient de fixer nos priorités et de consacrer une partie des aides financières internationales à la formation de la relève.

En 1994, la Biennale de Lyon a été un véritable tremplin pour la danse africaine. Guy DARMET, son directeur, lui a donné la place qui lui revenait, et cela, dans les meilleures conditions. Les cinquante six compagnies invitées à ce festival ont eu l'occasion de danser dans les plus belles salles de la ville et les médias - presse, radio et télévision - ont assuré une large couverture de l'événement en Afrique et en Europe.

La Biennale a touché un large public (62400 entrées enregistrées) qui a assidûment fréquenté les lieux destinés à cette rencontre internationale de la danse noire.

Les manifestations comme la Biennale de Lyon stimulent la chorégraphie, nourrissent les échanges et encouragent les jeunes à poursuivre la création. Il faut offrir aux chorégraphes et danseurs africains des occasions de rencontres en Afrique afin de redynamiser leur créativité et favoriser ainsi l'évolution de notre danse.

Il est temps, à présent, que les créateurs africains redéfinissent leur propre esthétique et qu'ils la fassent accepter au monde. Ce sera une esthétique africaine des Temps Modernes.

Pourquoi la création contemporaine ? Nous devons affiner et enrichir ce savoir que nos ancêtres nous ont laissé et le transmettre à nos descendants. La danse est nécessaire à notre équilibre social et individuel - un peuple qui ne danse pas est un peuple malade.

En dansant, nous parlons avec nos corps de notre continent, de ses joies, de ses peines. Alors, intéressons la jeunesse à la danse car elle lui permet d'exprimer ce que la société réprouve implicitement: ses angoisses et sa sensualité. .

En proposant des thèmes liés aux problèmes et à la vie des jeunes, nous les rendrons à la danse africaine et ensemble, nous inventerons des chorégraphies nouvelles, riches et dynamiques.

La danse se moque de la drogue, elle enlève le stress et procure un moyen de thérapie qui sauvera notre jeunesse en lui redonnant la force et la vitalité dont elle a besoin.

"Nous sommes les hommes de la danse dont les pieds reprennent vigueur en frappant le sol dur" disait Léopold Sédar SENGHOR que j'admire et remercie, comme je remercie Maurice BEJART pour ce qu'il m'a apporté, ainsi que mon mari qui a investi ses économies pour me permettre de créer.

A bientôt cinquante ans, je ne considère pas devoir m'arrêter, au contraire, je continuerai à danser, à montrer que les femmes sont aussi la force.

Je souhaite que nous cessions nos querelles et qu'on travaille ensemble, que ce Colloque soit productif et que nous prenions des résolutions aussi bien que pour ceux qui sont en Afrique qu'en Europe.

Bien sûr, avec l'aide de l'UNESCO, des Etats et des Organismes internationaux, mais appliquons les ensembles, main dans la main, pour danser la danse de la vérité, la danse de la paix.

Soyons unis pour réaliser nos objectifs, nous existons par la danse, nous vaincrons par la danse.

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THEME 3 SUITE

"DE LA DANSE TRADITIONNELLE A LA CREA TION CONTEMPORAINE AFRICAINE"

COMMUNICATION DE MONSIEUR ASS A YIGAH (TOGO)
DANSEUR, CHOREGRAPHE.

"Chorégraphe togolais travaillant sur le sol africain, mon exposé s'articule autour du thème: "De la Danse Traditionnelle à la Chorégraphie Contemporaine Africaine".

Je parlerai d'abord de la naissance de la Danse traditionnelle pour voir ensuite son évolution en création contemporaine africaine. .

Lorsque l'homme moderne citadin, cultivé et instruit, parle aujourd'hui de la Danse traditionnelle, ce n'est pas sans une certaine nuance de mépris, condescendance, ou un air amusé.

Cependant, la vieille danse traditionnelle si chère à nos parents est précisément le lieu, l'explication et la justification de notre existence.

Il est donc impossible de renier nos origines. Or aujourd'hui on ignore toute la richesse des légendes, danses, mythes, contes, proverbes et devinettes qui constituent notre littérature orale. Plus d'un africain a perdu le sens de ses anciennes danses traditionnelles qui remplissent de multiples fonctions poétiques, corporelles...

En effet, depuis que l'homme est apparu sur la terre, il a toujours utilisé la danse pour honorer son créateur ou de multiples divinités. C'est ce qui explique qu'au départ, toutes les danses ont la vocation de s'exprimer dans le temps et dans l'espace.

Quant à l'évolution de la danse au présent, elle doit s'appuyer sur le concept de notre époque qui est la libération de l'esprit.

La véritable libération de l'esprit ne commence qu'à partir de la conscience de soi, qui est aussi conscience de notre identité culturelle; sans cela, aucun individu, aucun peuple ne saurait assumer le progrès auquel nous aspirons tous.

Hier les Africains parlaient tradition, aujourd'hui on parle contemporain. Si nous voulons évoluer dans notre métier, dans notre environnement culturel, pourquoi ne pas accepter les évolutions.

Nous avons une grande richesse patrimoniale de danses traditionnelles; mais ce patrimoine, pour rester vivant, doit être développé en gardant une relation avec le monde contemporain.

Les danses de nos ancêtres semblent stéréotypées, et certaines jeunesses urbaines ne s'y intéressent plus. Le monde grandit, la mentalité des hommes change. La danse en Afrique doit suivre la même voie du développement contemporain pour s'en faire l'écho.

C'est la raison qui m'a poussé à mener une recherche esthétique sur mon milieu, en observant les différentes variétés de danse, surtout les mouvements d'animaux et d'arbres comme point de départ de mon inspiration, pour ensuite la développer dans la chorégraphie.

Pour conclure, j'émettrai quelques souhaits qui peuvent être réalisés avec le soutien des Etats africains et des Organismes internationaux - il s'agit de :
- L'élaboration de centres ou de conservatoires de danse en Afrique ;
- L'obtention de bourses de formation pour jeunes chorégraphes ;
- La réorganisation des structures sportives dans les écoles primaires et secondaires africaines pour une intégration de l'enseignement de la danse; introduction de la littérature orale dans les programmes ;
- L'organisation des rencontres, stages, ateliers et conférences entre créateurs dans le domaine du spectacle en Afrique;
- La création d'un Festival Panafricain de Danse ;
- Le lancement de publications sur la danse ;
- La création d'un organisme international de protection des droits et intérêts des compagnies et artistes de la danse.

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HEME 3 SUITE

"DE LA DANSE TRADITIONNELLE A LA CREATION CONTEMPORAINE AFRICAINE"

COMMUNICA TION DE MONSIEUR Vyckoss EKONDO (GABON)
CONSEILLER ARTISTIQUE DU PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE, DIRECTEUR DE L'ENSEMBLE CHOREGRAPHIQUE "TANDIMA"

Monsieur le Président, Madame le Rapporteur, Messieurs les Experts, Mesdames et Messieurs; je commencerai par vous dire que c'est en artiste que je me situe dans cette intervention, me référant à mon éducation familiale et tribale, à ma vocation de musicien qui est effectivement indissociable de celle de danseur, en vous faisant part de mes motivations et de mes approches de mise en scène de nos danses que je présente avec le ballet "TANDIMA" ; et enfin de mes réflexions sur la préservation de nos traditions qui n'est pas remise en cause parce qu'un coin du voile est levé.

Je soulignerai mon appartenance à la grande famille des artistes pour distinguer sans fausse honte certains aspects qui nous sont propres: l'intuition du coeur et de l'esprit n'est pas un fait établi, et ne peut pas être démontrée scientifiquement

C'est pourtant le principal moteur qui nous anime, tant au niveau de l'interprétation qu'à celui de la création artistique, et qui nous permet de nous sentir consciemment ou inconsciemment partie prenante de la création du monde.

C'est différent, vous en conviendrez, avec l'observation rationnelle des faits dans l'intention de les transformer ou de les améliorer !

De plus, notre mécanique de travail est très proche de la transmission orale' traditionnelle qui, si elle repose sur une technique, n'en laisse pas moins une grande part à l'imagination et à la perception des sens, à la sensibilité profonde de chacun d'entre nous.

A ce niveau, et de par notre éducation, si la scène est un domaine où nous faisons souvent preuve d'amateurisme, c'est simplement parce que nous n'y avons pas encore élu domicile. Vous comprendrez par là que la scène passe, dans ce Pays, loin derrière le Temple de nos cérémonies, je veux dire le BANDJA.

Pourtant, il n'est pas faux de dire que notre éducation traditionnelle n'a rien à envier à une formation professionnelle artistique.

En ce qui me concerne, je suis issu des peuples de la forêt où l'homme et la plante vivent en parfaite harmonie; de Mimongo au sud du Gabon, berceau d'une société secrète très répandue dans notre Pays, le BWITI.

Très jeune, j'avais pris l'habitude d'écouter mon grand oncle qui était un grand initié, et qui jouait merveilleusement de la Cithare et de l'Arc musical.

C'était une musique mystique qui est restée en moi à travers le temps, qui m'a suivi pendant la suite de mes études en ville. ... C'est au Lycée National Léon MBA que s'opère mon premier contact avec les instruments de musique occidentaux, en suivant une méthode d'apprentissage stricte, une expérience enrichissante dont aujourd'hui je profite énormément.

Mon ambition finale était de parvenir à produire une musique moderne d'inspiration traditionnelle; je continuais mes recherches sur la musique moderne d'une part, et sur les musiques traditionnelles de mon terroir de l'autre.

J'ai produit deux disques qui reflétaient cette conception initiale, mais cette première expérience ne m'a pas totalement satisfait, il y manquait quelque chose : l'aspect spectaculaire, la danse.

Etant producteur et réalisateur à la Télévision Gabonaise, je participais au tournage de plusieurs émissions consacrées aux Danses traditionnelles du Gabon, qui ont confirmé mon intuition sur la beauté et la richesse de notre patrimoine culturel.

Il m'est apparu que ce patrimoine pouvait être revalorisé, dans un aspect scénique, dès lors que les initiés eux mêmes avaient déjà accepté de se laisser filmer, car il n'y a pas si longtemps, ce fait était très rare sinon impossible.

J'ai réalisé avec satisfaction pouvoir allier nos différentes danses traditionnelles dans une chorégraphie unique

Il faut cependant avouer qu'il était inacceptable, voire dangereux d'associer ces danses qui étaient l'apanage de nos diverses sociétés secrètes. Même l'utilisation de certains masques et maquillages associés à certains pas de danses était prohibée.

Mais la résultat sur le plan spectacle était formidable, d'où ma préoccupation à préserver l'authenticité de ce patrimoine au niveau des costumes, des pas de danse, des maquillages, des coiffures et autres accessoires.

Voici donc les orientations que j'ai suivies avec ma troupe Tandima, ce qui veut dire "transcender".
Transcender comment ? Tandima veut occulter les barrières ethniques ou tribales dans le spectacle, car il est une symbiose de tous les différents signes, symboles lyriques et chorégraphiques de la plupart des ethnies du Gabon (soit 45 environ).

Ensuite présentant ces ballets dans des clips vidéo, et dans toutes sortes de manifestations, j'entends donner au spectateur le sentiment d'appartenir à une identité spatial globale qu'est le Gabon.

C'est dans cet esprit que Tandima s'est produit sur de nombreuses scènes internationales, et qu'il se prépare pour de prochains nouveaux voyages. Voilà, Mesdames et Messieurs, comment de la Tradition Orale à la Scène, c'est dessiné la trajectoire artistique que j'ai empruntée.

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"DE LA DANSE TRADITIONNELLE A LA CREATION CONTEMPORAINE AFRICAINE"

COMMUNICATION DE MONSIEUR Alphonse TIEROU (BURKINA FASO)
CHERCHEUR, CHOREGRAPHE, ECRIVAIN, EXPERT A.C.C.T . ET FONDATION AFRIQUE EN CREATION.

"... Mesdames, Messieurs, à l'horizon le soleil vient de s'éteindre. Nous sommes au Nord du Burkina Faso, dans la Région de Yakanda. Sur la place, un feu. Autour de ce feu une piste circulaire que piétine une meneuse qui dirige la Section Chorégraphique formée de dix, vingt, trente, cinquante danseurs qui ne cessent de tourner en rond.

Sur la circonférence de ce cercle, la section rythmique, la section vocale, l'ensemble des musiciens. Tout autour, se trouve l'assemblée. Les anciens, les femmes, les hommes, les jeunes filles participent à la danse et de temps en temps frappent des mains. Les jeunes enfants entrent dans le cercle, imitent leurs aînés puis sortent.

Les danseurs vont, viennent, entrent quand bon leur semble. Les musiciens se relaient. Il n'y a pas d'interruption, le ton est un état permanent de mouvements et il subsiste un très haut niveau sonore, de voix, de rires, d'encouragements, de froufrous de pagne et de corps qui se déplacent, de pleurs d'enfants qui font partie intégrante de la danse en Afrique.

Ce corps monolithique qui, tout entier, saute sur place, c'est l'Afrique qui danse, c'est aussi la danse Africaine.

Alors, qu'est-ce que la danse africaine ? Que peut-elle nous apporter, quelles sont ses limites si limites il y a ? Et, dans ce contexte, pourquoi parler de danse contemporaine africaine, pourquoi parler de scène. Qu'est ce que la création, quels en sont les avantages et les inconvénients?

Voyons d'abord la définition du mot Danse selon le contexte occidental. Dans toutes les langues européennes, la racine du mot danse vient du sanskrit Tan qui signifie tension.

Danser c'est donc éprouver, exprimer avec le maximum d'intensité le rapport de l'homme avec l'homme, de l'homme avec le cosmos, le rapport de l'homme avec Dieu Danser c'est passer du mouvement cosmique à sa maîtrise.

En Afrique, la danse n'est pas seulement un Art qui permet à l'âme de s'exprimer en mouvements, mais c'est une conception de la vie plus riche, plus forte, plus équilibrée, plus dense; en Afrique, la danse est participation et célébration.

Etant donné que tous les mots que nous employons viennent d'Occident, et étant Africain, essayant de regarder l'Afrique avec des yeux d'Africains, je me suis permis d'avoir ma vérité dans ce domaine de la danse en créant la définition d'un mot que j'ai appelé Dooplé :"Doo" voulant dire mortier, "Plé" voulant dire pilon, lorsqu'une ménagère africaine plonge le pilon dans le mortier, il s'en dégage un son, une cadence, un rythme, une musique; et lorsque la ménagère continue de piler, le mortier bouge, il avance, il vit, il tremble, donc, il danse.

Pour moi, la danse c'est l'union intime du son et du geste, du mouvement et de la musique, comme l'enfant naît de l'union intime de l'homme et de la femme.

En Afrique, danser c'est vivre, mais c'est aussi donner la vie. Voyons maintenant brièvement quelles sont les origines de la danse africaine traditionnelle, ce qu'elle nous apporte et quelle est son influence sur le monde d'aujourd'hui et sur les grands chorégraphes d'aujourd'hui.

La danse puise ses sources dans le travail comme le théâtre naît de la danse. J'ai eu l'occasion d'accompagner en France les paysans dans leurs travaux champêtres. Ils nous demandaient de battre avec des bâtons les Javel de riz disposés en forme de pyramides.

On finissait toujours par tourner autour de ce cercle de pyramides en scandant des chants, autrement dit, on dansait.

Mais comme disait Moïse, il n'y a rien de nouveau sous le soleil.
... Dans la Grèce antique, on apportait sur la place, dans de vastes cuves, des grappes de raisins pour être foulées par des foulons qui, pour rendre leurs mouvements plus coordonnés, plus efficaces, se déplaçaient en mesure; autrement dit ils dansaient.

Abordons maintenant les origines métaphysiques et mystiques de la danse africaine. Quand Hampaté BAH dit "lorsqu'un vieillard meurt, c'est une bibliothèque qui brûle", ce ne sont pas des vains mots, c'est une vérité fondamentale. Dans la vie d'hier, les anciens sont des savants; l'homme meurt mais le masque demeure.

Ces anciens étaient conscients du fait que dans le corps humain, il y a des fonctions de nature rythmique. les battements du coeur, la circulation du sang dans les vaisseaux sanguins, la respiration, etc…

Ces savants, ses parents de la civilisation orale, avaient aussi conscience qu'en mettant notre corps en harmonie avec les vibrations intérieures, on se mettait automatiquement en harmonie avec les vibrations infinies; ce qui a pour conséquence heureuse une autre dimension de la vie, permettant de comprendre que tout être humain, dans une certaine mesure, doit savoir pardonner et se pardonner.

Une des techniques fondamentales pour mettre le corps en harmonie avec les vibrations infinies, car la danse nous conduit toujours à Dieu, c'est ce qu'on appelle la libération de la vie par le mouvement qu'est la danse, et c'est en fonction de cette vérité première que les sages africains disent encore que "en Afrique, la danse a toujours exercé sur les Peuples une attirance magique, parce qu'elle est le symbole même de l'acte de vivre".

La danse africaine constitue donc une démarche qui conduit l'homme au plus profond de lui-même, à la découverte de ses qualités latentes, à son épanouissement intérieur, et ce sur plusieurs plans: physique, intellectuel, social et thérapeutique.

Quand au rayonnement de nos danses à travers le monde en ce vingtième siècle, vous savez comme moi que toute une nouvelle génération de danses sont filles de nos danses africaines.

... Je remercie les Directeurs de Ballets, les danseurs et danseuses, grâce à qui, la Danse africaine est connue et reconnue sur le plan international.

Mais ces danses africaines doivent faire l'objet d'une protection rigoureuse, parce que d'une part, elles privilégient les aspects symboliques, initiatiques et spirituels de nos sociétés, et que d'autre part, ces danses constituent une mémoire collective, une banque de données d'une richesse estimable. Une protection rigoureuse aussi parce que chaque danse nationale est une production nationale qui, à ce titre mérite d'être protégée.

Enfin, la danse africaine, chaque danse ethnique, chaque danse tribale est pour moi une carte d'identité dont la lecture me permet de reconnaître le peuple auquel elle appartient, car chaque peuple a ses danses qui lui sont spécifiques.

Mais alors, et la danse contemporaine africaine ? Ce n'est pas le transfert de la danse contemporaine française ou européenne sur nos scènes africaines. Nous devons tenir compte de notre milieu social pour l'intégration de la gestuelle africaine d'aujourd’hui dans nos danses, dans nos créations.

Dans ce sens, permettez-moi de citer CICERON (106 à 43 av. JC) pour qui "la tradition c'est remettre à son disciple les objets intéressants qu'on avait en garde". Mais si je remets à mon disciple les objets qu'on m'avait confiés, c'est que ces objets existaient déjà.

Si l'on fait ce transfert au niveau de la danse africaine, on se rend compte que la danse traditionnelle, la danse classique africaine, pour emprunter l'expression du Professeur ANGUILLET, est celle qu'on doit remettre aux générations futures.

Cette analyse me permet de constater qu'un danseur traditionnel, quelle que soit sa compétence, quel que soit son génie, quel que soit son talent, dans une certaine mesure n'est pas un créateur, mais un interprète.

Mais si j'encourage la protection de nos traditions, que le respect qu'on a pour elles ne déforme pas notre intelligence au point que nos yeux ne voient plus, que nos oreilles n'entendent plus. Comme le disait Shakespeare "le corps est le jardin et la volonté son jardinier".

,. Je travaille depuis longtemps pour la mise en oeuvre d'un vaste mouvement en faveur de la création contemporaine africaine. La création c'est la manifestation de la liberté, et la liberté est la condition sine qua non de la création. Le concept de liberté s'appréhende par cette faculté innée qu'est la volonté, et dans cette notion de volonté, il y a l'idée de désir et de détention qui sous-entend des choix.

Le désir pousse le sujet vers ce qu'il n'a pas, vers ce qui lui manque. Le désir est donc le signe d'un manque et le manque est l'objet du désir.

Quant à l'intention, c'est elle qui pousse le sujet à agir, à ne pas agir; autrement dit, dans le domaine des créateurs et des chorégraphes, cela suppose une finalité d'expression de soi, la réalisation d'une oeuvre originale, d'une oeuvre authentique.

Pour moi, quoi qu'on en dise, ce n'est pas l'argent qui manque le plus en Afrique, ni encore moins les diplômés, mais bien la dimension de la réflexion qui, dans le cadre de la chorégraphie, fait appel à l'imagination.

La création chorégraphique pourra aider l'Afrique à avoir foi en sa propre danse, à poursuivre son intégration humaine par la danse; c'est la création chorégraphique qui, comme ici, va nous obliger à nous poser des questions que, souvent nous nous refusons à nous poser.

Pourquoi, comparé à toutes les autres disciplines artistiques dans lesquelles l'Afrique excelle, est-ce le néant au sujet de la création chorégraphique sur scène ?

Nous sommes dans un continent où nous ne disposons d'aucun critique chorégraphique, d'aucun expert en danse, d'aucun grand chorégraphe vivant en Afrique et travaillant an Afrique capable d'envisager l'avenir de l'Afrique, de la danse africaine avec objectivité et clairvoyance.

Quand on parle de critique chorégraphique, on parle d'esthétique. Il faudrait déjà qu'il soit capable de prononcer un jugement par rapport aux critères de valeur africains. La conception de la beauté selon les canons gréco-romains n'a rien à voir avec les canons de beauté négro-africains.

Madame Germaine ACOGNY nous a fait un beau livre, il y a quatre ou cinq exemples comme celui-là sur tout le continent, mais c'est une goutte d'eau dans le désert. Or le fait que nous n'ayons pas de réflexion issue de notre propre art, affecte sa compréhension et son évolution.

Une observation en appelle une autre qui est celle des circuits de diffusion en matière de spectacles : jusqu'à présent, dans beaucoup de capitales africaines, le coeur des créations se trouve être dans les Centres Culturels Français. Il faudrait donc penser et réfléchir pour trouver d'autres alternatives.

Celles-ci passe nécessairement par la prise en compte de la formation. En Afrique, nous avons de très belles femmes, des garçons magnifiques, mais il nous manque la formation qui est ce petit plus qui pourrait les aider à aller plus loin.

Et on oublie souvent qu'un danseur est vieux à quarante ans; il faut penser à sa reconversion. Si nous parlons de professionnels de la scène, il faut songer à leur reconversion pour éviter le chaos.

Si je ne connais pas ma propre culture, je ne peux rien apporter à une autre culture. Et dans le domaine de la création, cette habitude qui consiste à faire "à la manière de ..." est une voie sans issue qui conduit à s'annihiler soi-même, et qui est contraire aux principes sacrés du dialogue des civilisations, au dialogue des cultures, au métissage culturel. SAINT EXUPERY a pu dire que "si je diffère de toi, loin de te nuire je t'augmente".

Outre le projet, "Pour une danse contemporaine africaine" de la FONDA TION AFRIQUE EN CREATION, que je pilote à travers une vingtaine de pays africains, et qui se clôturera par le premier Concours chorégraphique interafricain (Luanda Angola Novembre 1995), mon grand objectif pour les années à venir est la mise en place d'une MAISON DE LA DANSE EN AFRIQUE, avec le soutien de l'UNESCO, de l'ACCT, la CEE et de divers organismes internationaux. Elle aura pour but la formation des danseurs africains, de la tête aux pieds en tenant compte du concept de la beauté africaine.

Nos sages nous disent que la danse reste le plus court chemin d'un homme à un autre. Dans ce contexte, l'Afrique Noire peut encore apporter une participation décisive à la survie de ce monde, de cette planète, au bonheur de l'homme.

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"DE LA DANSE TRADITIONNELLE A LA CREATION CONTEMPORAINE AFRICAINE"

COMMUNICA TION DE MONSIEUR KOFFI KOKO ( BENIN)
DANSEUR,CHOREGRAPHE

Je suis ici en qualité de chorégraphe et codirecteur du Ballet National de Bénin, et à ce titre, je transmets aux autorités gabonaises le message de considération et d'amitié fraternelle du Ministère Béninois de la Culture.

Je vous dirai pour débuter que la troupe que nous constituons a pour vocation d'être contemporaine, car nous n'avions pas jusqu'à présent de Ballet National proprement dit. Je me pose aussi la question "Qu'est-ce que la danse contemporaine en Afrique?" Quelques fois on pense que cela consiste à amener un apport de l'extérieur.

Cependant, avec notre patrimoine qui est déjà si riche, notre danse n'a pas besoin d'aller loin pour être contemporaine. Au Bénin, nous voulons travailler sur une esthétique et sur une lecture qui peut être à la fois acceptée au Bénin et sur le plan International, Universel...

Il y a évidemment contraintes, car si on parle de contemporain aujourd'hui, c'est que nous acceptons de faire la démarche de se mettre au diapason de l'espace scénique international, tout en sachant bien que les danses africaines, quand elles sont dansées dans leur contexte, on les comprend et les apprécie toujours plus.

Le 1rajet que nous allons donc effectuer, nous, chorégraphes d'aujourd'hui, c'est d'aborder, d'amener sur scène une danse pure qui va à l'essentiel.

Car la danse traditionnelle, quand on la déplace de son contexte, elle reste juste, mais c'est l'environnement et tout ce qu'il y a autour qui dénote complètement.

A telle enseigne que, vivant une grande partie de mon temps en Europe, je ne peux pas rester plus de deux ou trois mois absent de mon Pays, de mon village, ne serait-ce que pour rester en contact avec mon Maître spirituel qui s'y trouve.

Il ne s'agit donc pas, pour faire une danse contemporaine africaine de prendre des apports extérieurs, mais d'arriver à avoir un langage qui peut se valoir universel.

Il ne faudrait plus entendre :" ça c'est une danse traditionnelle africaine sur une scène occidentale", mais: "ça c'est de la Danse! "... Bien sûr qui vient de l'Afrique, mais qui porte un tel message et une telle écriture. Et c'est cette écriture là que nous, nous tous en Afrique, devons essayer de trouver.

Elle sera diversifiée car dans une évolution, une création, on ne peut pas tout faire de la même manière. On peut avoir une même réflexion, mais d'un individu à l'autre il y a une évolution, une application différente.

En ce qui concerne les problèmes de terrain, la danse traditionnelle dans les zones urbaines n'existe plus partout en temps que telle. En tout cas, pour l'exemple du Bénin que je connais très bien, nous sommes obligés d'aller dans les campagnes pour retrouver ces danses là.

Maintenant que nous commençons une réflexion contemporaine sur la danse, je ne suis pas vraiment d'accord sur l'idée que les danseurs traditionnels ne soient que des interprètes car, en dehors du rituel, ces danses n'étaient pas chorégraphiées : il y a un pas qui correspond à un placement du corps, à une attitude, à une direction de mouvements, mais la danse est le fruit de la création du danseur.

Je rendrai ici hommage à monsieur Peter FOLEBA, car c'est le premier à avoir chorégraphié nos danses pour une scène avec le BALLET GUINEEN qui a fait le tour du monde; avec lui est née la Chorégraphie Africaine.

Dans le cas de la recherche contemporaine, il faut tenir compte des contraintes logistiques et surtout économiques qui nous amènent, nous les pédagogues et chorégraphes africains et atelier en Europe, à créer une nouvelle gestuelle, une nouvelle musique sur la base de nos anciens rythmes.

On dit chez nous :" C'est toujours une histoire qui en amène une autre " ... Voilà le défi important que les danseurs d'aujourd'hui ont à relever. C'est une voie qui consiste à évoquer l'originel, et je ne suis pas le seul à la suivre sur le continent.

Cette démarche est un choix que nous avons pris quand s'est éveillée en nous la conscience de ce que nous pourrons apporter à la danse traditionnelle, du moment que nous gardons le contact avec elle, et que nous sommes encore en mesure d'être, dans nos villages, des danseurs traditionnels.

Quel est le paysage, la situation du danseur en Afrique ? D'un coté dans les villes, il y a les groupes qui animent certaines cérémonies chez des particuliers, qui se produisent dans les hôtels ou au cours de manifestations officielles, mais ils ne vivent pas de cela, loin s'en faut.

De l'autre coté à la campagne, dans les villages, ceux qui ont conservé l'aspect purement traditionnel se retrouvent en dehors de leurs travaux champêtres pour perpétuer nos danses, parfois sans même en connaître la signification, mais en perpétuant ce que les anciens ont légué. Et si, vous leur parlez de danse contemporaine, ça ne les intéresse vraiment pas.

La question qui en découle est: nos danses doivent elles être exposées sou pas ? Moi, je répondrai qu'il y a des porteurs de la tradition que nous devons toujours, toujours respecter; qui sont notre mémoire, nos bibliothèques.

Mais il y a aussi des artistes qui ont vécu dans la tradition et qui, par chance ou par opportunité ont été amenés à prendre conscience qu'ils pouvaient développer un don, qu'ils apporteraient quelque chose à cette tradition en le développant au présent.

Je dis cela comme un encouragement aux danseurs, aussi bien dans les zones urbaines que dans les villages.

Et ça, c'est très important, car en Afrique, on ne peut pas choisir d'être seulement danseur; ... et nous, nous faisons un Colloque sur la Danse Contemporaine. Nous devons avancer, notre génération doit avancer.

Nous n'avons pas encore eu assez la chance de divulguer nos traditions, qui avaient été étouffées par l'histoire. Il y a des artistes, des volontaires parmi nous qui ont cette conscience et cette volonté de développer la musique et la danse afin d'arriver à la création artistique.

Pour conclure, l'écriture contemporaine peut être abordée sous plusieurs formes car elle n'est le monopole de personne.L'artiste doit être libre, car sans liberté, il n'y a pas de création. Nous devons trouver notre écriture, l'accepter en temps que telle et trouver les moyens de la confirmer, en insistant sur notre esthétique et sans plier aux exigences des producteurs et des diffuseurs de spectacles.

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"DE LA DANSE TRADITIONNELLE A LA CREATION CONTEMPORAINE AFRICAINE"

COMMUNICATION DE MONSIEUR George MOMBOYE (COTE D'IVOIRE)
DANSEUR, CHOREGRAPHE

"Monsieur le Président, Madame la Rapporteur... La danse traditionnelle a été créée par des fabuleux créateurs capables de célébrer leur temps, et leurs événements ; capables de rassembler et de faire communier entre eux les membres d'une même communauté, d'un même groupe, d'une même ethnie.

Elles a ses propres règles, ses propres codes, ses habitudes, elle marquait des événements, des moments dans la vie des anciens, sans aucune volonté de les mettre en scène au sens où la mise en scène s'organise dans une salle de théâtre.

Elle a un lien avec la vie, la vie de la société. Elle traçait et trace encore la trajectoire des femmes qui accouchent, les épopées, les combats de guerriers.

Elle est la mémoire collective. Elle fouille l'inconscient jusqu'à la transe, elle guérit aussi en sachant faire parler les esprits. Cette danse était une danse sans prétention, même si elle s'organisait avec rigueur dans l'espace, et organisait l'espace et les règles de la communauté.

En fait, elle n'a jamais souhaité être exposée. Enseignée à de jeunes générations, on leur en transmet les codes, on leur en donne le sens et les clés avec précision: il s'agit d'une initiation. Cet enseignement est très riche.

Cette danse traditionnelle en Afrique, en Côte d'Ivoire en particulier puisque c'est celle que je connais le plus précisément, et à laquelle je suis initié, possède une richesse dont on ne peut mesurer l'ampleur.

Mais cette richesse demeure, hélas, incompréhensible à ceux qui lui sont culturellement étrangers.

Le jeune créateur tenté par l'acte de création, hanté par sa volonté de communication, est donc contraint de sortir de la rigueur des codes et des règles traditionnelles, même s’il commet à cet instant un acte de déstructuration.

Le désir de création domine la danse, c'est la scène, la scène c'est la rencontre avec d'autres règles, c'est le respect d'autres codes, c'est la complicité avec régisseur, la rencontre avec du matériel technique; - C'est aussi l'ouverture et fermeture d'un rideau, c'est une salle noire, un espace neuf, sans vie ni lumière dans lequel, par la magie de la mise en scène, on va amener un instant de vie.

On va éclairer cet espace en y transportant, ou en y transposant peut-être dans un geste symbolique, un moment de vie intérieur.

Placée dans un tel contexte, la danse traditionnelle avec ses codes et ses règles créés par les anciens demeure incompréhensible. Transposée en tant que telle, elle paraît décalée, déportée, même pour un public de citadins africains.

Confronté à cette incompréhension, c'est alors toute une série de questions auxquelles se heurte le nouveau créateur; comment faire passer le message pour non initié qu'on ne veut pas décevoir; comment faire une danse de femmes accouchent sur une scène inappropriée ; comment mélanger les différentes célébrations sociales dans une seule mise en scène puisque la tradition l'interdit et alors que l'espace scénique le permet.

Comment raccourcir le temps réel, et les événements qui le rythment pour placer en une heure trente de représentation.L'espace scénique permet alors de décomposer un mouvement ancien pour recomposer un autre mouvement, et retrouver le sens d'une nouvelle histoire, ou de propre histoire.

C'est en effet à travers la recomposition du mouvement qui appelle d'autres mouvements dans une sorte de continuité, que le créateur trouve ainsi l'embryon réponse à ses questions.

La danse contemporaine Elle annonce dans l'absolu une rupture. Rupture a\ toutes les~autres formes de danse établies: classique, moderne jazz, traditionnelle; E représente en soi la déstructuration. Elle signifie le présent ou l'actualité, le moment il devient possible de casser un mouvement, un pas pour savoir ce qu'il y a dedans.

Avec le contemporain, le créateur devient libre. Il peut danser et faire danser: penché sur le côté, en avant, en arrière, à quatre pattes. . . il peut dépasser les techniques ou formes de l'expression dansée qui existent déjà. demi-pointes, entrechats cha-cha-cha par exemple.

La forme contemporaine est permissive. Elle permet de faire des pirouettes sur I talons ou autre choses, pourvu que ce mouvement permette d'aller plus loin dans qu'on désire exprimer. Elle porte en elle l'idée de la création. Elle dit. "C'est nouveau, n'est pas d'avant c'est de maintenant!".

En sachant ce que chaque mouvement, geste ou pas porte à l'intérieur de lui même, le créateur retrouve le sens de l'expression.

En précisant avec rigueur le sens du message qu'il souhaite faire passer, il gagne en efficacité. C'est alors seulement qu'il communique avec son public parce qu'il est clair, limpide.

Il retrouve la source de la danse. L'histoire racontée devient lumineuse pour un public dont le créateur brasse les émotions et qui peut passer ainsi du rire aux larmes par la seule magie de l'instant et par la richesse d'expression qu'il lui est donné de voir.

Richesse insoupçonnée, comme l'est et le demeure la danse traditionnelle africaine, mais ouverte cette fois à la compréhension du public non initié à ses rites et à ses coutumes.

"De la création contemporaine à la danse contemporaine africaine". Au contraire de la danse contemporaine occidentale, la danse africaine contemporaine ne se base pas sur la rupture. Ici, il n'y a aucune rupture avec la danse traditionnelle. Elle exige au contraire une adhésion, une digestion de la danse traditionnelle, une inscription dans le corps. Elle est écrite dans celui-ci comme le langage des griots sous forme de. paraboles, de proverbes.

De cette aisance à embrasser la globalité que permet le proverbe, il va falloir extraire des phrases pour construire une expression d'aujourd'hui accessible au plus grand nombre, artistes, néophytes ou public.

Les danses traditionnelles sont alors les vrais points d'appui de l'inspiration; ces danses, au départ enfermées dans le carcan du cercle des initiés, sont la source même de l'inspiration. Cette source est sans fin, composée de tous les éléments, elle est le rocher et l'eau.

Il s'agira donc pour le créateur africain contemporain de mettre l'accent sur tel aspect, ou tel élément de la construction pour l'alléger, l'offrir et l'ouvrir vers une autre dimension, voir une démarche universelle.

La permission que prend le créateur de violer quelque part les interdits qui rendent certaines danses traditionnelles secrètes, n'est peut-être pas la marque d'une rupture mais plutôt la marque de l'ouverture vers une clef destinée à ouvrir une porte derrière laquelle sommeille quelques secrets.

En fait de rupture, elle n'existe que par rapport au cadre dans lequel la danse traditionnelle évolue et tient compte d'une histoire de la colonisation qu'il est impossible d'ignorer.

Le plan de la construction, les éléments de cette construction sont les mêmes, mais les matériaux sont adaptés, ils expriment l'actualité et permettent d'être plus explicites, de mieux faire passer le message, de rendre nos danses traditionnelles plus digestes aux non-initiés en gardant la complicité entre le musicien et le danseur.

Ce qui caractérise encore les danses traditionnelles africaines dans le contexte contemporain est l'utilisation du rythme qui favorise l'emportement, le dépassement, l'exaltation par les sons et les vibrations.

Elle ne cherche même pas à se poser selon les exigences de la danse contemporaine occidentale qui elle, cherche à briser des règles, des techniques, des termes établis. Elle utilise seulement les mêmes espaces scéniques à une même époque; elle qui est la mienne perpétue la vie, en soi elle est un acte de création.

Pour conclure si l'appellation contemporaine de la création est ignorée en Afrique, puisqu'il s'agit d'un concept purement occidental, le créateur africain parvient à s'y retrouver puisqu'elle lui donne accès à ses propres possibilités, elle lui permet de rassembler des danses éparses et disparates en apparence pour les développer en un mouvement cohérent, en une seule danse qui lui fait raconter sa propre histoire.

Mais histoire qui, cette fois, en devient une où d'autres se retrouvent, histoire d'entrelacement, de rencontre, histoire qui percute, histoire qui palpite en retournant à la source.

Cette danse dit alors mieux qu'une série de mots accolés. La danse est unique, elle embrasse le temps en l'éclairant ou en l'embrasant. Elle est la vie, la danse est la vie; et ça c'est africain.

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THEME 3 SUITE

"DE LA DANSE TRADITIONNELLE A LA DANSE CONTEMPORAINE AFRICAINE"

COMMUNICATION DE MADAME Eisa WOLLIATSON 
(ETATS - UNIS / FRANCE) CHOREGRAPHE

J'aimerais faire un commentaire sur le mot tradition. Pour moi, la tradition n'est pas seulement un fait culturel qui appartiendrait à l'ordre social et qui nous déterminerait, à des degrés divers, selon la force même de la tradition. C'est avant tout un héritage qui peut être négatif ou positif

Si l'on doit apprendre à vivre ailleurs, si l'on sort de la complexité des structures familiales et sociales, la question de la singularité fondée dans le rapport à cette tradition se pose. De ce fait, l'héritage subit des transformations mais le sens reste. C'est pourquoi je ne vois plus la tradition avec les yeux de ma jeunesse. Ma relation à la tradition a subi des épreuves. Aujourd'hui, la vie que je mène est loin de la tradition, j'en partage juste l'esprit.

Puis-je la transmettre à Paris ? Cette question a cheminé souterrainement. Au fur et à mesure de la présentation des oeuvres dans leur forme traditionnelle, je me suis déshabillée progressivement. Se déshabiller comporte un certain risque: celui de s'exposer aux préjugés archaïques de ceux qui n'y sont pas habitués.

Si je reste avec les "pourquoi", je ne trouve pas ma raison d'être. Pour éloigner les curieux, mes réponses sont superficielles. Je préfère questionner par un travail. Je danse, j'enseigne toujours à partir des bases traditionnelles, mais je choisis des éléments précis, contrairement à d'autres danseurs qui disent. "j'enseigne les danses de l'Afrique". Ce qui est impossible.

L'Afrique est un continent gigantesque. On danse de mille façons différentes. Les danses sont l'essence même de l'environnement dans lequel elles naissent: forêt, eau, savane... impriment leur marque.

Il est prétentieux de dire que l'on porte toute l'Afrique sur son dos. Mais sans fausse modestie, j'ai eu la chance de faire beaucoup de travail dans différents pays du continent noir, d'Est en Ouest.

Ce qui m'a le plus frappé, c'est le domaine musical. Mon travail établit toujours un rapport à la musicalité de l'Afrique, même si je ne le dis pas. Si je savais vraiment ce qu'est la danse, je crois que je ne danserais plus.

Aujourd'hui, je suis arrivée à un stade où je ne peux plus écrire sur mes programmes: "danse traditionnelle". Cela signifierait que les codes n'ont pas bougé et c'est faux. Aussi dis-je : "danse d'expression africaine et contemporaine". Telle est ma vision, et je sais que mon discours n'est pas solitaire.

Les Africaines dansent - en dehors des danses traditionnelles pures et codées ­- des danses qui contiennent des éléments d'actualité; elles s'enrichissent du présent. Pour avancer, j'ai élargi ma vision de la danse. Je la situe dans le monde où je vis: ici et maintenant. Quand je suis sur scène, je me sers de cette transformation pour danser.

"Rituel", mon spectacle le plus ancien (monté pour la première fois à Paris en 1969) est un parcours cérémoniel basé sur les forces cosmiques terrestres, à l'instar des danses qui sont exécutées dans un lieu clos. Mais la modernité est présente, ne serait-ce que par la nature des salles occidentales.

Toutes les Africaines dansent, mais toutes les Africaines ne sont pas initiées. L'initiation est présentée comme une sorte d'épreuve liminaire, une épreuve pour accéder à la connaissance. Celle-ci passe par de nombreux efforts pour être reçue, jusqu'à, osons le mot, la "persécution". Ces efforts existent pour éviter le repliement sur soi-même.

Il est impossible par rapport à une initiation de dire qu'on est la plus forte. Plus tard, à mon tour, je peux transmettre, car non seulement j'ai la connaissance, mais aussi le moyen de transmettre En Afrique, il existe une pédagogie du savoir liée à la parole. En Occident aussi, il existe un concept d'initiation. Mais la société ne dit pas "initiation", elle dit "scolarité". Le processus est le même, si ce n'est que la parole est écrite.

Toute la force du rite tient dans sa capacité à révéler ce qui n'est pas visible aux croyances profanes. Visible, invisible, conscient et inconscient, le rite unit. En Occident, il existe U{le fragmentation entre les mondes du visible et de l'invisible. Le corps est ici, l'esprit est là-bas. La tradition, par le moyen du rite, recrée l'Un originel. "Rituel" a été vécu, transformé, transposé par moi pendant de nombreuses années pour rendre présent l'indicible.

J'ai essayé de partager cette connaissance avec mes élèves et les danseurs de ma compagnie. J'explore leur intellect, leur conscience, leurs désirs Si quelqu'un vient danser avec moi, tant mieux. Mais pourquoi vient-il ? Ce n'est pas moi qui vais le lui demander.

Et puis un jour, j'ai rencontrer Stéphane (Koulbanis) qui danse avec moi depuis 1989. Il suivait mes cours. J'ai pu l'observer. Ce qu'il dansait était essentiel pour lui, et j'ai vu que je pouvais travailler avec cette matière. Etait-ce superficiel ou profond ? Très tôt, je lui ai proposé un premier spectacle.

Une fois cette première étape accomplie, j'ai voulu mieux le connaître. Oui, aller lentement; du temps et de la patience pour être sûre que j'étais dans le vrai. De maître à élève, il n'est pas question. L'essentiel est de sentir que, si demain je meurs, et ça a encore une importance pour moi, j'aurai rencontré dans ma vie un être avec qui j'aurai partagé une partie de moi-même. Même si je ne suis plus là, il dansera.

Cette dimension est fondamentale par rapport à la tradition, justement. C'est un exemple typique d'initiation dans la confrontation d'un lieu et d'un moment. Je ne pose pas de question à mes danseurs. Ma relation au corps fait que l'on ne m'échappe pas. Ce n'est pas de regarder qu'il s'agit mais de voir. Regarder est de l'ordre de la précision, voir est de l'ordre du tout. Cette façon de fonctionner m'a permis de reconnaître Stéphane. Danser est une communion, un partage. Je ne danse pas à côté d'un danseur mais avec. Sur le plateau tout devient un. Stéphane et moi sommes différents, et c'est seulement quand nous dansons que nous nous retrouvons.

Pour moi, créer et marquer un pas au sol vont de pair. Je commence toujours avec un pas, puis je je "lave" jusqu'à ce qu'il prenne forme. Un seul pas suffit. Ma danse est l'épuration d'une chose pour aller à l'essentiel. Le théâtre et le plateau sont des lieux sacrés. Du plateau - c'est pourquoi j'accepte d'y danser toute chose, tout, absolument tout passe dans le public. C'est un lieu qui se charge de la force du mouvement et de l'action...

C'est vrai, j'ai été longue à admettre l'électrification. Je m'y suis confrontée. J'ai fait quelques concessions, mais je refuse tout élément de décor et tout artifice justement parce que le plateau nu est chargé et sincère. C'est une lutte, bien que souvent beaucoup l'ignorent. Avant tout ce n'est pas mon lieu. Je ne suis qu'une force de passage. Sur chaque plateau, je me demande comment je vais y aller. Je lui demande la permission de passer et de danser. Sur un plateau, on rencontre toutes sortes de choses cruelles que les gens perçoivent comme des accidents. la gélatine qui s'envole toute seule sans raison, des lampes qui s'éteignent sans motif.

Quand je monte sur le plateau, je suis neutre. Bien sûr, je connais le spectacle, je connais les pas, mais je vais vers l'inconnu: c'est le vide. Je réapprends la chorégraphie. Dès que j'entre dans un lieu, inutile de feuilleter un livre. Est-il chargé d'histoire ou non ? Je le sens, je le sais. La cour des Ursulines à Montpellier, lieu mystique et prison de femmes, est extraordinaire car elle représente les deux extrémités du pôle, le bien et le mal.

Je danse tout simplement. Je côtoie la danse tous les jours. Ce n'est pas parce que je suis en 1995 que je fais du contemporain. Il est contemporain pour les autres" mais sans âge pour moi, sans âge car la danse continue son parcours. Chaque fois que je veux danser, je demande la permission. J'ai été éduquée ainsi.

Une partie de la danse est contrôlée, mais pas le tout. La conscience d'organisation côtoie l'inconscient. Seul le corps te rappelle que tu n’es pas coupé. A cinq, six, ou dix, nous sommes des formes de personnes. On nous voit un par un, mais nous sommes sur le plateau pour une seule danse. Les formes sont variables, mais une seule danse est exécutée par un seul interprète. Danse et musique participent de la même énergie, avec la différence que l'une prend une forme sonore, l'autre une forme visuelle. L'une et l'autre doivent abandonner totalement leur ego pour éveiller l'âme. Les instruments ont leur âme, et les danseurs sont comme des instruments.

La technique est un "plus" qui permet d'être à l'aise, mais elle n'est pas la danse. C'est pourquoi l'Art est sans âge. Si aujourd'hui, j'accomplissais avec mon corps, les mêmes choses qu'hier, ce serait une gifle. De même, les choses que je fais maintenant, je n'aurais pu les réaliser à vingt ans, même avec une superbe technique.

Aujourd'hui, je suis soutenue par la maturité et la connaissance de cet instrument. C'est vicieux dans les deux sens. On a tendance à mettre de la plasticité dans la forme. Il y a d'autres éléments qui font que je ne peux pas défendre une esthétique plutôt qu'une autre. C'est comme le choix d'une couleur de peinture, alors que l'essentiel pour moi s'inscrit dans la lumière et l'occupation de l'espace.

Comment entrer, traverser, sortir de l'espace scénique ? Et la lumière, pas celle que l'on voit mais celle que chacun possède en soi, comment s'allume-t-elle de l'intérieur ? Tout ceci crée une forme et une gestuelle où le constant lien entre la conscience et l'inconscience est important. Tenter de montrer des choses réglées par la conscience et oser échapper à la structure, telle est la direction de mon travail. On me parle de dédoublement, mais l'artiste ne doit-il pas réveiller l'autre ou cette part de lui-même qui échappe à la conscience et qui est son double ?

Le faire naître, et c'est l'autre que les gens voient. Ainsi, l'artiste s'identifie avec ce qu'il ressent, et le public aussi. Ce n'est pas dans l'émotion que naît le double. Il naît dans le mouvement, si le mouvement est juste car alors le corps n'est plus découpé ; c'est le tout.

Un geste qui juste transmet en un moment la dimension du tout. Si je cherche à tout contrôler, la danse reste purement intellectuelle. Il n'y a pas de passage, tout est tranquille. Souvent, ce que je donne à voir est choquant, violent, voire menaçant, car le passage a lieu et m'épuise. Dans "Rituel", il m'épuise non pas pendant mais après. Mais c'est trop important pour moi. Je me vois entourée d'espace, de sons dans l'espace... "Rituel" provoque dans l'inconscient des spectateurs des peurs qui désorganisent ce qui était auparavant contrôlé. C'est toujours après que les gens réagissent. "Rituel" leur affirme une évidence: vivez avec ce corps, vous n'en avez pas d'autres.

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EXTRAIT DU DISCOURS DE CLOTURE DE MONSIEUR Mario BOIS,
PRESIDENT DU CONSEIL INTERNATIONAL DE LA DANSE AUPRES DE L’UNESCO

"... J'ai remarqué aussi dans vos exposés comme dans les textes que j'avais lu sur votre sujet, qu'une image revenait souvent s'exprimant par les mots source, fleuve, torrent.

Quand on vient de l'Europe pour rencontrer l'Afrique, quand on la rencontre comme nous avons pu le faire grâce à votre accueil, on est conforté dans l'idée que c'est elle qui a inventé la danse, que c'est ici qu'elle est née, que l'Afrique est la source de la danse. Oui c'est ici qu'elle jaillit avec le plus de force, d'abondance et de pureté.

En face de ce flot d'une puissance cosmique, nos danses européennes, c'est vrai, danses de cour, danses académiques et même danses traditionnelles, ont tout à coup quelque chose de pâle et d'artificiel.

Mais les cultures ne sont pas à comparer, il n'y a pas de hiérarchie entre elles, toute culture, à condition de rester pure et vivante, est primordiale.

... Le chorégraphe africain de danse contemporaine est-il un sauveur de patrimoine, ou bien au contraire un être déraciné ?

Ne peut-on pas le considérer comme un messager actif qui, fortifié par la pureté de la source, s'en va créer son monde à lui nouveau et fertile.

Pourquoi l'accuserait-on de destruction alors que l'univers primordial de la danse africaine peut très bien rester ce qu'il est, un trésor millénaire. . .

EXTRAITS DU DISCOURS DE CLOTURE DE

MONSIEUR Alexandre SAMBAT , 
MINISTRE GABONAIS DE LA COMMUNICATION, DE LA CULTURE, DES ARTS ET DE L'EDUCATION POPULAIRE, CHARGE DES DROITS DE L 'HOMME.

"Je suis comme tous ceux qui s'interrogent sur l'avenir de notre monde, ceux qui cherchent, ceux qui pensent que le troisième millénaire qui se profile à l'horizon, que cette ère du Verseau dont nous parlons tant, sera un point de repaire extrêmement important, une étape extrêmement importante dans le cadre de cette marche vers la civilisation de l'Universel.

Mais qui dit civilisation de l'Universel, dit point de rencontre des diversités; et je suis convaincu que cette ère du Verseau nous apportera une véritable refonte de nos valeurs, et peut être un vrai retour vers les valeurs les plus cardinales qui ont caractérisé la naissance de notre monde; et l'Art sera nécessairement au centre de ce grand bouleversement.

L’Art, la Danse certainement. Je suis sûr que, à cette époque, on reviendra vers l'appréciation initiale d'une symbolique beaucoup plus marquée, et c'est ce que représente précisément la danse en tant que telle.

Ce que sera l'apport de l'Afrique dans cette démarche, c'est le fait que la danse pour nous, représente autre chose que l'exaltation de la simple beauté plastique; c'est également une expression spirituelle..."

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CONSEIL INTERNATIONI\L DE La\ DANSE DANCE COUNCIL UNESCO COLLOQUE INTERNATIONAL "LA DANSE AFRICAINE DE LA TRADITION ORALE A LA SCENE" Amphithéâtre, EHESS - Paris, Vendredi, 29 septembre 1995 Organisé par le Conseil international de la danse (CID-UNESCO) avec la collaboration du Centre d'Etudes Africaines de l'Ecole des Hautes Etudes (E.H.E.S.S. ), de la Fédération des Danses de Gabon (FE.DA.G. ) et le soutien de l'UNESCO

PROGRAMME
9H30
Ouverture du Colloque
Salutations aux participants par:
- Monsieur Jean Dozon, Directeur du Centre d'Etudes Africaines
- Monsieur Milorad Miskovitch, Président d'Honneur du C.ID
- Madame Madeleine Gobeil, Directrice de la Division des arts et de la vie culturelle, 
représentant du Directeur général de l'UNESCO
10H00
- Monsieur Jean Claude PENRAD (France) (Chercheur, anthropologue, enseignant) "Chorégraphies mystiques notes sur des musulmans de Zanzibar "rituels confrériques lOH15 Monsieur Harns DUPLAN (Haïti) (Danseur, chercheur, pédagogue) "Danse et expression primitive"
10H30 
Madame Sally Jane NORMAN (Nouvelle Zélande) (Chercheur, historien des arts du spectacle) "'Corps-objets en mouvement"
1 OH45 
Madame Odile Vanuké ( Zaïre ) (Danseuse, pédagogue) "Politique culturelle et danses africaines"
11HOO 
Madame Françoise GRÜND (France) (Chercheur, directrice artistique de la Maison des Cultures du Monde, Paris) "Mémoire et imaginaire de la danse africaine chez les peuples de la diaspora (Haïti, Saint Domingue, Brésil, Equateur)
llH15 
Monsieur Georges MOMBOYE (Côte d'Ivoire) (Danseur, chorégraphe) "La création chorégrahique et la danse contemporaine africaine "
11H30 DEBAT
12H30 PAUSE DEJEUNER
CID . UNESC.O . 1 rue Miollis. 75015 PARIS Ad.esse postalc . 75732 PARIS CEDEX 15 Tél. Il} 45 6S 25 53 - [ax (1) 43 06 87 98

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16/11/2022
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